Costarmoricain depuis 2012, l’italien Leonardo Valenti est scénariste pour la télévision, le cinéma et la bande-dessinée. Il a co-écrit les scénarios de séries policières adaptées dans plusieurs pays européens comme RIS Police Scientifique et Romanzo Criminale. Il poursuit ses collaborations italiennes tout en travaillant sur une série en langue bretonne.
Récit d’une trajectoire atypique.
– Films en Bretagne : Après une carrière italienne, racontez-nous vos premières collaborations en Bretagne.
Je me suis installé à Pleumeur-Bodou en 2012 pour rejoindre ma compagne qui vit ici. J’avais envie de quitter l’Italie, de changer d’environnement. Bien sûr, je continue à beaucoup travailler avec l’Italie mais aussi en France et dans la région. Après mon arrivée, j’ai très vite entendu parler de Massimiliano Nardulli, programmateur du Festival du Film Court de Brest. Il est originaire de Rome et moi de Terni en Ombrie, la région au Centre de l’Italie, et nous avons le même âge. J’ai eu envie de faire sa connaissance, qu’on se raconte d’où nous venions, comment nous étions arrivés en Bretagne… Très vite, il m’a mis en relation avec des personnes du milieu du cinéma et notamment Antoine Le Bos, du Groupe Ouest. J’ai aussi été convié à faire partie du jury de concours de scénarios d’Estran.
– Quelles ont été vos collaborations avec Le Groupe Ouest ?
J’ai participé, en tant que scénariste, à la formation sur « Dramaturgie et documentaire » à Mellionnec. C’était un vrai pari pour moi qui n’avais jamais travaillé sur des documentaires. J’ai décidé de relever ce défi et me suis retrouvé deux semaines aux côtés d’auteurs-réalisateurs. J’ai trouvé extrêmement intéressante cette rencontre. Faire se côtoyer deux façons de penser crée des rebondissements, et c’était une expérience vraiment intrigante.
Les documentaristes n’ont pas la même façon de traiter le réel que les scénaristes de fiction. Chez chacun, il y a une construction, une organisation du réel différentes. Il fallait trouver comment chaque moyen d’expression pouvait se nourrir l’un et l’autre. J’avais déjà été associé à des formations en Italie auprès d’étudiants-scénaristes, mais sur des durées plus courtes. A Mellionnec, j’ai apprécié le travail intensif et durable qui a permis à certains des auteurs de trouver leur façon de construire leur projet, d’aboutir à un texte dans lequel leurs intentions originelles sont mieux structurées. Personnellement, je me suis aussi beaucoup nourri de cette expérience. Au retour de ces deux semaines, j’ai eu l’impression d’avoir une autre façon d’appréhender le réel, plus véridique ou plutôt plus naturelle.
– Ces premières rencontres en ont amené d’autres ?
Oui, notamment celles avec l’équipe de Fin ar Bed, une série de fiction bretonne sur laquelle je travaille depuis quelques temps. C’est une série réalisée par Nicolas Le Borgne, co-écrite par Denis Rollier et moi-même, développée pour les télévisions bretonnes (France 3 Bretagne et les télévisions locales de Bretagne). Nicolas avait réalisé un pilote qui a séduit les télévisions. Quand Anne-Edith Cuillandre, productrice chez Lyo productions, a relancé l’écriture pour la série, elle a cherché un scénariste de télévision et s’est adressé au Groupe Ouest pour avoir des contacts. On lui a parlé de moi. Le projet m’a plu d’emblée, pour son côté sombre, la singularité des personnages et la rencontre entre des mondes différents.
– C’est un projet bretonnant, comment y trouvez-vous votre place ?
C’est une des choses que j’aime beaucoup ici : la culture des racines, des origines, j’aime l’idée qu’on puisse se rappeler d’où l’on vient, qu’on valorise ce qui est important à transmettre. J’ai le sentiment qu’en Italie on perd ces choses-là, que les régions se dépersonnalisent. En Bretagne il y a des institutions qui se préoccupent de préserver l’histoire, les racines, le bagage culturel. Ça n’existe pas en Italie, et c’est fort dommage. On voit que les langues disparaissent, les anciens les parlent encore mais plus les jeunes générations. Je suis content de participer à ce projet aussi pour ça.
– L’univers du polar est très présent dans vos scénarios, comment l’expliquez-vous ?
Oui c’est devenu ma spécialité… On m’appelle surtout pour ce type de projet. Si j’avais commencé par écrire des comédies, peut-être m’appellerait-on aujourd’hui pour ça ?! En occurrence l’univers du polar est une passion. Et les séries qui ont marqué ma carrière font partie de ce genre-là. Je suis issu d’une famille d’avocats. Mon grand-père était avocat pénaliste et ses clients étaient assez… particuliers. Il a notamment travaillé sur deux ou trois affaires qui ont beaucoup marqué notre région d’origine. Ça m’intriguait énormément et je passais tout mon temps dans son bureau. J’y ai croisé beaucoup de gens, assez décalés… Toutes ces histoires incroyablement fortes m’ont beaucoup influencé. Je pense que mon intérêt pour les enquêtes et l’univers policier vient de là. Très jeune, j’ai eu envie de cinéma et j’ai commencé à écrire. Mais j’ai d’abord fait des études de droit, une sorte de tradition familiale, même si je ne souhaitais pas être avocat. Mes premiers courts-métrages n’étaient pas des polars mais étaient déjà très noirs. J’ai ensuite suivi des cours d’écriture. A l’époque, les gens qui démarraient dans le métier se tournaient plus volontiers vers le cinéma, la télévision italienne étant mal perçue, mais je me suis dit que c’était en train de changer, que c’était le bon moment pour y développer des histoires. L’essentiel de mes scénarios a été écrit pour la télé.
– Quelles sont les étapes marquantes de votre carrière ?
A mes débuts, j’ai suivi un cours d’écriture organisé par la chaîne publique et ma première série Distretto di polizia, en tant que scénariste et directeur de collection, a été écrite pour cette même chaîne. Elle a ensuite été diffusée en France, sous le titre Julia Corsi, commissaire ( sur TF1, à partir de 2005, nldr).
Plus tard, Pietro Valsecchi, un des producteurs avec qui je travaillais régulièrement, m’a demandé de réfléchir à un projet sur le travail de la police scientifique. C’est ainsi qu’est né RIS, qui a également donné lieu à une version française. Ensuite il y a eu la grande aventure de Romanzo Criminale. La série a été un grand succès en Italie, et plus encore. Elle a été diffusée en France, en Angleterre, aux États Unis… J’ai ensuite écrit le script d’un long-métrage, A. C. A. B.*, pour le même réalisateur, Stefano Sollima. Le film est sorti en 2012.
– Qu’est-ce qui vous intéresse dans l’écriture sérielle ?
Faire une série pour la télévision implique une structure qui se répète d’un épisode à un autre, enfin c’est en tout cas comme ça que sont bâties 95% des séries pour la télévision actuellement. Il faut donc commencer par trouver cette structure, qu’elle soit solide, et s’y fixer. Ensuite on peut développer les histoires de chaque épisode.
Pour avancer dans mon travail je regarde beaucoup de séries, du cinéma aussi bien sûr, mais surtout de la télévision, des séries italiennes, françaises, danoises, américaines, espagnoles… Ça me paraît essentiel pour continuer dans cette voie.
J’ai eu la chance de travailler sur plusieurs formats : des 52 minutes avec plusieurs saisons, des mini-séries et aujourd’hui des épisodes de 13 minutes pour Fin ar Bed.
C’est intéressant et nécessaire car la télévision change. Même si les formats autour de 50 minutes marchent encore très bien, le développement des séries pour le web, dont les durées sont beaucoup plus courtes, bouleverse un peu les choses.
La génération actuelle sait bien s’en emparer, et nous, scénaristes qui avons une expérience différente, sommes obligés de commencer à y penser. C’est aussi une des raisons pour lesquelles j’étais tenté par l’expérience bretonne : ça ne me semblait pas évident d’arriver à maîtriser ce format si court.
– D’autres projets ?
Oui, j’ai écrit une nouvelle série policière pour l’Italie, Romanzo Siciliano. Elle est en cours de montage et sera diffusée en janvier 2016 sur Canale 5.
– Vous écrivez également des scénarios de bande-dessinée.
Oui, j’ai publié cinq romans graphiques en Italie. Le prochain roman graphique Cassandra, tiré d’un récit de Giancarlo De Cataldo, est déjà édité en Italie par les éditions Tunué et le sera bientôt en France aux éditions Asiatika. En plus, pour le même éditeur français paraîtra prochainement un autre projet Bloody Sakura. C’est ce que les éditeurs appellent un light novel, un roman court, à la forme plus légère avec plus de dialogues que de description et quelques illustrations, comme ce qu’on fait beaucoup pour les enfants, mais destiné à un public d’adolescents et de jeunes adultes.
J’ai un autre projet que j’avais d’abord imaginé pour l’Italie mais que finalement je cherche à transposer ici. Il a un côté mystérieux, qui fait écho aux contes et légendes de la région que j’apprécie beaucoup.
J’ai vraiment envie de raconter des histoires qui se déroulent ici, que ce soit des scénarios pour la télévision ou en édition… Récemment j’ai découvert un polar qui se déroule en Bretagne. Je l’ai fait lire à un de mes producteurs. Les droits étant disponibles, il l’a proposé à un diffuseur, on attend… il est encore tôt pour en parler.
Propos recueillis par Elodie Sonnefraud
*A.C.A.B. (2012) de Stefano Sollima. Prix « sang neuf » aux Festival du polar de Beaune.
En Une, Leonardo Valenti lors de la formation « Dramaturgie et documentaire » à Mellionnec en 2014 © Youenn Chapalain
Toutes la filmographies de Leonardo Valenti sur Imdb
Romans graphiques publiés par BeccoGiallo, Edizioni BD, Tunué et Passenger Press
Cassandra – Tunué & Asiatika
La Banda della Magliana – Becco Giallo
Sala d’Attesa – Edizioni BD
Il Massacro del Circeo – Becco Giallo
Racconti Indiani – Passenger Press