Pour sa 19e édition, les Rencontres de Films en Bretagne ont plus que jamais misé sur l’actualité pour ouvrir le champ de la réflexion et des possibilités d’actions conjointes pour tous les acteurs de la filière sur l’avenir de la production cinématographique et audiovisuelle. Et l’actualité en 2019, c’est sans conteste la série, évidemment en pleine expansion, qui intéresse toute la sphère audiovisuelle, de l’écriture à la diffusion.
Un format exigeant, de multiples variations, que ces deux jours proposaient d’explorer en trois rendez-vous et autant d’angles capitaux. Et pour commencer, c’est le meilleur grain que l’on a donné à moudre à ceux qui voudraient en croquer, à travers l’expérience de nos voisins de Belgique francophone et le dispositif levier inventé au niveau local et qui a presque aussitôt fait ses preuves à l’international : le fonds des séries de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la RTBF.
Dès l’ouverture des Rencontres 2019, le public de professionnels a eu la possibilité de plonger dans le bain bouillonnant des séries en visionnant le premier épisode de la saison 1 de La Trêve. La jeune actrice belge Sophie Maréchal accompagnait la séance, et témoignait des conditions pour le moins sportives de la réalisation de cette saison, pour des questions de budget et de temps donné, en particulier, d’inexpérience aussi en cette matière sérielle pour la plupart des artistes, techniciens et producteurs belges qui y participaient. Mais avec quel entrain ! Avec un tournage à 10 minutes utiles par jour, soit trois fois plus qu’en long-métrage, il ne fallait pas manquer de préparation, d’astuce, et de concentration ! Un retour d’expérience suivi dès le lendemain d’un même son de cloche en écho, mais qui concernait cette fois les étapes précédant la réalisation : celui du producteur chez Hélicotronc, Anthony Rey, et de l’écrivain et scénariste Boris Tilquin, également vice-président de l’ASA, l’Association des Scénaristes de Belgique (francophone), venus présenter le très innovant fonds des séries de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la RTBF, sans quoi rien de tout ça ne serait arrivé (près de chez eux).
C’est en 2013 que ce fonds des séries est créé, sur l’impulsion de la Fédération Wallonie-Bruxelles en association avec la chaîne publique francophone belge, la RTBF, ce afin de s’assurer de l’engagement d’un diffuseur dès la phase de développement et, avec lui, d’un public local. Un fonds qui se pense alors déjà comme un incubateur de projets visant à accompagner l’émergence de jeunes talents issus de la région, à les former, et à créer de toutes pièces une industrie qui n’existe pas vraiment à l’échelle du territoire, celle de la série (seulement 3 séries avaient été réalisées en Belgique francophone, en 20 ans). S’inspirant de modèles scandinaves et flamands, un programme en trois phases est mis en place. Il prévoit d’aider, depuis le développement jusqu’à la réalisation, 4 séries par an (sans encore y arriver tout à fait aujourd’hui). Règles et critères sont drastiques en matière de format et de financement notamment, avec 10 épisodes de 52 minutes pour un coût évalué à 250 000 euros par épisode (ce qui est bien peu dans cette économie de la série lourde et avec cette ambition qualitative, une qualité sur laquelle les fondateurs n’avaient pas osé compter au départ).
Le premier appel à projets est lancé un an plus tard, en 2014. Les auteurs doivent être accompagnés d’un producteur et présenter sensiblement le même dossier qu’une demande d’aide à l’écriture au CNC. 151 projets de série sont déposés ! C’est dire l’attente fiévreuse du secteur en la matière !
Parmi ces dossiers, celui de La Trêve [¹], qui franchira toutes les étapes d’un dispositif qui, pour n’être pas très différent aujourd’hui, en est tout de même à ses balbutiements et nécessitera quelques ajustements.
La société Hélicotronc porte donc La Trêve, et Boris Tilquin, qui vient d’achever un Master d’Écriture Scénaristique, fera son stage sur la série (il en transpose les dialogues). Il a alors 25 ans à peine. Deux ans plus tard, à la sortie de l’Institut des arts de diffusion, Boris est lui-même sélectionné pour le projet Fils de [²] (un 8 x 52′) avec trois autres coauteurs (le projet est actuellement en phase 2, et le tournage prévu en 2020) [³] : « Le fonds a une démarche de recherche et développement et mise depuis le départ sur la jeunesse, l’émergence de nouveaux talents auxquels il offre de pouvoir développer des projets tout de suite et de les voir diffuser à l’écran. C’est inespéré, cette chance n’est jamais donnée nulle part ! Et c’est très intelligent, car on n’apprend pas à écrire de bonnes séries autrement qu’en faisant ! Le fonds des séries a aussi une démarche de formation pour les auteurs et les producteurs qui les accompagnent : il a mis en place dès 2015 l’Atelier du fonds, des workshops réguliers, menés par des acteurs renommés de la fabrique de la série, qui viennent partager leur expérience avec nous, à commencer par là où ils se sont plantés ! L’atelier est par ailleurs ouvert à tous, y compris à ceux dont les projets n’ont pas été retenus. Il ne ferme aucune porte, au contraire. Le but est d’élargir au maximum le spectre des idées nouvelles et des talents pour les porter ! C’est aussi un moyen de relever le niveau de tout le monde d’un coup, dès la sortie des écoles. La qualité des dossiers est là pour attester de la vertu de ce système : les projets sont de plus en plus fins et efficaces, et de plus en plus difficiles à départager d’année en année !«
Anthony Rey ajoute que « les actions mises en place par le fonds et son évolution –notamment avec la création, en 2015 également, d’un comité de concertation regroupant toutes les associations audiovisuelles professionnelles du territoire – ont permis de donner plus d’air à la réalisation des séries en déplafonnant leur financement, une condition nécessaire à sa pérennité et à notre réengagement à tous ! « . On le voit, toute la filière est impliquée à l’échelle du territoire et tout le monde avance en rangs serrés, ce qui est là aussi une belle réussite. C’est ainsi que le fonds continue d’évoluer dans le dialogue et l’entraide, au bénéfice de chacun.
Plus concrètement, ce programme de développement se divise en trois phases : une première phase d’écriture qui dure 4 mois et pour laquelle les auteurs/scénaristes perçoivent 30 000 euros pour développer l’écriture (réseau de personnages, continuité dialoguée du premier épisode) et trouver le cœur battant de la série : sa thématique. Cette somme est à partager à la discrétion des auteurs, en fonction de l’apport de chacun, sa répartition devant être consignée dans un contrat de collaboration (un pourcentage est souvent mis de côté pour l’intervention d’un script-doctor). 5 000 euros supplémentaires sont alloués à la production pour des frais divers.
Une deuxième phase d’écriture, à laquelle toutes les équipes n’ont pas accès, s’étend ensuite sur 16 mois environ. Elle commence après validation de la phase 1 par un jury constitué de personnes de la fédération, de la RTBF, et d’indépendants. Si l’on est admis à continuer, « on vous souhaite la bienvenue en enfer« , se souvient Boris ! Cette seconde phase de développement est celle durant laquelle les 10 scénarios devront être écrits, avec un accompagnement plus assidu de la part des deux conseillers de programme de la RTBF et des étapes très régulières de validation qui débloquent chaque fois une tranche de la nouvelle enveloppe du budget : 17 000 euros pour l’écriture et 3 000 euros de frais de production pour chaque épisode. Ces 16 mois sont répartis en quatre grands mouvements (arches, séquenciers, continuités dialoguées, réécriture), entrecoupés par la réalisation d’une maquette de 10 minutes à la mi-temps, une proposition avant tout artistique qui permet, selon Anthony, « de tester le ton et les options choisies, la capacité de l’équipe à réaliser, et de voir émerger à l’écran ce qui prend, et ce qu’il est encore temps de corriger. C’est une source d’informations très importante pour l’écriture. Mais aussi pour le diffuseur ! Même si la RTBF s’en défend, ce pilote est déterminant pour la façon dont ils soutiennent, ou pas, la série ensuite…« .
Une fois cette phase 2 validée par le jury, c’est le moment de la mise en production. La Trêve a été la toute première série à avoir été produite, dans ces conditions de financement drastiques que nous évoquions, avec un plafonnement dommageable pour la production et les équipes qui ont accepté de travailler dans des conditions pour le moins inconfortables. « Nous avions en tout et pour tout 2 500 000 euros pour faire la série. Sachant que le fonds apporte en totalité un peu moins de 1 200 000 euros, le reste est à la charge de la production, qui va chercher le financement auprès des autres guichets disponibles en Belgique francophone (régions, tax shelter, diffuseur complémentaire…). Dans ce cas, les frais généraux et le salaire producteur ont été mis en participation.« , précise Anthony. « Nous essuyions les plâtres. »
Le succès de la première saison est fulgurant et il dépasse largement les frontières de la Belgique – francophone ET flamande (la VRT va acheter la série !) – avec une sélection à la Berlinale et à Monte-Carlo, le Prix de la meilleure série francophone à Séries Mania ou France Télévisions qui achète la saison 1, comme Netflix, la RTS, et Federation Entertainment pour les ventes internationales… Le succès d’audience sur la RTBF suit de près ce qu’Anthony appelle « des mastodontes de l’audimat » : le journal télévisé et les matchs de foot disputé par l’équipe belge ! » Nous avons même rajeuni de trois ou quatre ans le spectateur à cette tranche horaire, nous avons réalisé l’impossible ! » s’enthousiasme-t-il encore !
C’est ainsi que tous se sont réengagés avec le fonds des séries pour développer la saison 2 de La Trêve, dans des conditions un peu meilleures. « Les auteurs n’ont pas hésité longtemps car une série ce n’est pas 7 ou 8 ans comme un premier long métrage mais plus ou moins 2 ans d’engagement ! Et en Belgique, c’est 100 fois plus de spectateurs qu’un film en salles !« , ajoute-t-il encore.
Paradoxalement, si la saison 2 a été mieux financée (4 300 000 euros), la production a eu moins de remontées : « France télévisions n’a pas acheté la saison 2, contrairement à nos attentes, et si nous l’avons vendue à Polar +, nous n’avons jamais pu combler le fossé. Toutes les recettes de la saison 1 ont été réinvesties dans la production de la saison 2, elle a donc été bien financée et les auteurs n’ont pas eu à se brider, c’est pour nous ce qui comptait ! »
Ce fonds des séries pensé pour professionnaliser les acteurs locaux de la création audiovisuelle poursuit donc son grand œuvre en consolidant le réseau qu’il a participé à tisser localement. Il peut aussi servir de modèle et faire des émules chez ses voisins, voire plus loin, et inviter chacun à redoubler d’ambition, tout en favorisant la cohésion. À quand la première saison d’une série propulsée par un fonds des séries breton ?…
Gaell B. Lerays
[¹] La Trêve, une série de Benjamin d’Aoust, Stéphane Bergmans et Matthieu Donck (10 x 52 minutes)
[²] Fils de…, une série d’Antoine Négrevergne, Boris Tilquin, Gaëtan Delferière et Simon Marzipan (10 x 52 min)
[³] Boris Tilquin est aujourd’hui le créateur de Matière première (8×52’), un deuxième projet de série créé en collaboration avec l’auteur-réalisateur argentin Diego Martinez Vignatti.
Quelques liens :