Il était une fois, à Ouagadougou…


Fin janvier, le premier court métrage d’animation franco-burkinabè, Pawit Raogo et la vieille menteuse,  sortira des studios JPL Films et de Pit Productions . En coréalisant ce film, Jean-Pierre Tardivel et André-Daniel Tapsoba concrétisent un vieux rêve… Emmanuelle Gorgiard nous en conte les tours et les détours. 

Si l’argument du film est des plus classiques – un conte africain traitant d’une mésalliance au milieu d’un conflit villageois – l’enjeu se situe ailleurs. Plus précisément dans la mise en chantier d’un projet permettant à une vingtaine d’artistes de Ouagadougou de travailler sur une production cinématographique qui s’approcherait des standards internationaux de l’animation.

Je rencontre Jean-Pierre Tardivel et André-Daniel Tapsoba en 2008 à l’occasion d’un stage d’initiation au cinéma d’animation à IMAGINE à Ouagadougou. Cet institut dédié au cinéma a été fondé par Gaston Kaboré (réalisateur de Wend Kuuni, César du meilleur film francophone en 1985) pour permettre à ses jeunes compatriotes de raconter enfin par eux-mêmes leur histoire.

De nombreux apprentissages cinématographiques ont déjà été dispensés à IMAGINE avant ce stage, mais il s’agit pour la première fois de monter une formation liée au cinéma d’animation. Une cinquantaine de jeunes artistes venus de toute l’Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Togo, Cameroun, Guinée, Bénin, Mali) vont y participer. Parmi eux : André-Daniel Tapsoba, Burkinabè de Ouagadougou. Après un trimestre probatoire, il est prévu que les meilleurs dessinateurs du groupe suivent une autre formation. À l’issue de cette seconde session de neuf mois, ils seraient suffisamment formés pour être engagés comme techniciens sur Le prince de la cité de sable, un film d’animation de Enzo D’Alo écrit avec Gaston Kaboré.

Jean-Pierre Tardivel, Rennais de souche bourlinguant entre la France et l’Afrique depuis plusieurs années, fait partie de l’aventure. Ce vieux briscard de l’animation a débuté sur le long métrage Les 12 travaux d’Astérix en 1974. Réalisateur de séries, ex-professeur à l’école des Gobelins, il enseigne durant trois mois aux étudiants africains le dessin animé quand d’autres formateurs, dont l’auteure de ces lignes, transmettent des notions de volume animé ou d’After effects. André-Daniel Tapsoba se distingue d’emblée comme un bon dessinateur.

Poursuivre le rêve coûte que coûte

Un relatif inconfort, commun aux pays du Sahel, contrarie légèrement notre planning mais contribue aux charmes de l’aventure. La formation doit, par exemple, s’adapter aux coupures intempestives d’électricité. Ainsi, les exercices d’animation et les projections de films alternent parfois brutalement avec des ateliers de dessin ou de modelage qui, eux, n’exigent pas de courant. Au fil des jours, la découverte du cinéma d’animation dans sa diversité, le plaisir de la fabrication et du partage, les progrès accomplis ouvrent des perspectives inédites à ces jeunes artistes. Darius, un étudiant camerounais, compare ainsi Gaston Kaboré à L’homme qui plantait des arbres de Frédéric Back, convaincu qu’un beau jour, grâce à son engagement, de nombreux films d’animation seraient réalisés en Afrique. Seulement voilà… Faute de crédits, la formation s’arrête définitivement après les trois premiers mois !

Adieu Le prince de la cité de sable… Ciao Enzo d’Alo…

Malgré leur déception, la plupart des étudiants poursuivent leur rêve de faire de l’animation. Les plus chanceux intègrent des formations à l’animation 2D ou 3D au Sénégal ou en Afrique du sud. Ceux restés à Ouagadougou aident l’un des leurs à réaliser son court métrage en volume dans les locaux d’IMAGINE que Gaston Kaboré prête volontiers. Mais les moyens manquent… et l’espérance de gagner sa vie en fabriquant du cinéma d’animation s’amenuise…

Pour lutter contre ce découragement, un noyau dur d’anciens étudiants (dont André-Daniel) se fédère dès 2009 en fondant lABCA : association burkinabè du cinéma d’animation. Ses membres réalisent quelques films avec l’aide d’IMAGINE avant de s’autonomiser lorsque l’un d’eux, Serge Pitroïpa, crée la société PIT Productions. Le projet de série Afro Games est alors initié, en lien avec l’Ambassade du Danemark en 2013. Pendant 6 mois, huit animateurs burkinabés partent au Danemark réaliser le pilote d’Afro Games. Le frère de Serge, Jonathan Pitroïpa, ancien joueur du Stade Rennais (et qui a déjà fondé une école de football au Burkina), donne alors un coup d’accélérateur à PIT Prod en permettant l’achat de matériel.

De son côté, Jean-Pierre Tardivel, résidant ponctuel à Ouagadougou, cherche à retrouver ses anciens étudiants au travers d’une production professionnelle (et internationale). Quand il découvre Pawit Raogo et la vieille menteuse du jeune auteur burkinabè Ousséni Nikiena, il est convaincu d’avoir déniché le conte « intemporel, amusant et authentique !», idéal à adapter en dessin animé.

Il cherche une société de production française avant de solliciter les membres de PIT Productions. Jean-Pierre pense proposer la coréalisation du projet à André-Daniel qui, au-delà de son coup de crayon, l’a séduit par ses qualités humaines, sa profondeur, sa douceur et son humilité. Celui-ci serait garant de l’esprit africain du film tout en gérant une équipe.

Jean-Pierre Lemouland qui connaît bien l’Afrique subsaharienne est intéressé par le projet. Un début de collaboration s’engage alors entre JPL films et PIT Prod. L’aventure peut enfin démarrer… à la condition que PIT Prod ne soit pas seulement prestataire mais participe activement à la recherche de financement.

Le coup de baguette footballistique…

En cours de montage financier de Pawit Raogo, Jean-Pierre Lemouland rencontre Jonathan Pitroïpa et l’intéresse au projet de coproduction. Au final, la jeune société ouagalaise parvient à rassembler 20% du financement du film. Parmi la vingtaine de dessinateurs recrutés, la plupart ont participé au stage de 2008. Après une formation de 78 h sur TV paint, la petite équipe est fin prête à fabriquer le film.

Jean-Pierre Tardivel qui a réalisé la mise en scène et le découpage confie à André-Daniel la réalisation technique du film. Au printemps, le jeune Burkinabé passe plusieurs semaines chez JPL films pour travailler avec l’équipe rennaise en charge du story-board, du lay out (1) et de l’animatique (2), apportant ainsi la caution de l’authenticité quant aux objets du quotidien et au style graphique des personnages. De retour à Ouagadougou après avoir préparé le line-up (3), les turn around (4) et les couleurs, André-Daniel retrouve ses collaborateurs qui vont animer, exécuter les décors et coloriser les seize minutes que dure le film. Jean-Pierre Tardivel, présent lors de l’enregistrement de la musique et des voix à Ouagadougou, revient seul à Rennes pour finaliser le film, du compositing (5) jusqu’à la post production chez L’Oreille du Chat, à Bruz.

Jean-Pierre Tardivel ne tarit pas d’éloges sur André-Daniel et son équipe. Tous l’ont bluffé par leur souci de la qualité et leur professionnalisme. Si le succès est au rendez-vous : sélections en festivals comme le FESPACO par exemple, il se voit bien réitérer l’aventure avec eux en tentant de créer une collection de contes africains animés.

Emmanuelle Gorgiard

(1) Lay out : étape de pré-production qui figure les décors, tous les éléments fixes de la scène ainsi que la position de personnages, les actions et les dialogues, le cadrage et les mouvements de caméra.

(2) Animatique : étape qui consiste à monter le storyboard ou le lay out sur une bande-son. Cette maquette détermine la durée des plans et permet de vérifier la pertinence des raccords.

(3) Line up : présentation de tous les personnages du film dessinés côte à côte, afin d’établir leurs proportions.

(4) Turn around : présentation d’un personnage dessiné de tous les côtés.

(5) Compositing : étape finale de la fabrication assemblant les différentes sources d’images.

IMAGINE

« Pour mieux exister, pour se développer et inventer son futur, l’Afrique doit se parler à elle-même, se raconter, se voir, se projeter sur l’écran de sa propre conscience.

Le cinéma, la télévision et le multimédia sont des formes modernes d’expression dont les Africains doivent s’accaparer pour produire des récits singuliers qui sont autant de nourriture vitale sur le chemin de leur épanouissement humain.

Ces moyens de communication de masse sont les seuls capables de sortir l’Afrique du déficit de conscience d’être et de représentation qu’elle accuse vis-à-vis d’elle-même et du reste du monde, lequel déficit handicape grandement son aptitude à se prendre en charge.

Il s’agit d’une véritable course contre le temps et la perte d’identité dans laquelle le facteur formation des professionnels pèse de tout son poids. C’est là, toute la justification même de l’existence d’IMAGINE qui veut être un outil au service de tous ceux qui misent sur le rôle de l’audiovisuel pour assurer une grande part de l’avenir de l’Afrique. »

Gaston JM KABORE