Un petit tiers de la production documentaire française s’initie hors Île-de-France : 30% des auteur(e)s et 33% des entreprises de production de documentaire étaient établis en régions sur la période 2012-2015.
C’est peu, au regard de la répartition géographique de la population française (82% réside en régions) et au regard de l’activité économique (77% des entreprises du secteur marchand non agricole y sont établies).
C’est beaucoup, eu égard au centralisme de l’audiovisuel public national : en 2015, seules 12% des entreprises ayant produit du documentaire pour les chaînes nationales de France Télévisions et 13% de celles ayant produit du documentaire pour ARTE France étaient établies hors Île-de-France.
Par ailleurs, en 2015, 23% des entreprises de production documentaire disposant d’un compte de soutien automatique au CNC étaient établies en régions, soit 10 points de moins que la part des entreprises de production documentaire bénéficiaires d’aides sélectives du CNC établies en régions (33%).
France 3 régions représente clairement un facteur de dynamisme pour la production documentaire initiée hors Île-de-France. Cependant, l’apport des antennes de proximité de France 3 demeure nettement inférieur à celui des antennes nationales de France Télévisions. Et si la « Case de l’oncle Doc » aura constitué un levier important de décentralisation, son remplacement par « l’Heure D » est annoncé avec des coproductions documentaires certes deux fois mieux financées mais concentrées sur deux fois moins de projets.
Les chaînes locales jouent aussi un rôle essentiel dans le dynamisme du documentaire initié en régions en permettant à un grand nombre de films de se faire. Celles ayant signé avec les collectivités des COM et autres dispositifs fléchés vers la coproduction de documentaires ont de surcroit participé à la structuration du tissu professionnel régional, mais là encore dans une économie limitée.
Quant à la production de documentaire pour le cinéma, elle est encore plus concentrée géographiquement que la production pour la télévision, avec 79% des producteurs de documentaires agréés en 2012-2015 établis en Île-de-France vs 69% des producteurs de documentaires diffusés à la télévision. Le centralisme, en matière de cinéma documentaire, est lié à la concentration en Île-de-France des entreprises de distribution (81%) et au caractère incontournable de la sortie en salle parisienne, tant en termes de couverture médiatique que pour l’obtention des aides à la distribution du CNC.
En termes économiques, la production documentaire se caractérise, et ce plus particulièrement en régions, par un tissu de petites et très petites entreprises, avec une concentration en Île-de-France des entreprises de production documentaire générant plus de 500 K€ de masse salariale annuelle (94% en 2014).
Pour autant, il existe dans les régions une production documentaire de qualité, soutenue par des aides sélectives nationales, territoriales et européennes, distinguée par les professionnels du genre et appréciée du public. En attestent les taux de sélection des auteur(e)s en régions pour les aides à l’écriture de la Scam et du CNC, ainsi que les taux de sélection des entreprises en régions pour les aides de la PROCIREP. En attestent également la présence des documentaires initiés en régions dans des festivals de référence, les audiences des documentaires de France 3 Régions, les sélections pour le prix CIRCOM et les Étoiles de la Scam…
On observe par ailleurs d’une région à l’autre de grandes disparités en termes de performances moyennes, économiques et qualitatives, de la production documentaire, disparités directement liées au degré d’implication des collectivités territoriales et à la volonté politique de soutenir le genre documentaire et la filière régionale.
Si les aides sélectives territoriales contribuent fortement au dynamisme de la production documentaire en régions - tout en étant largement ouvertes aux entreprises franciliennes, les règles d’accès aux aides automatiques du CNC, dans un contexte de centralisme de l’audiovisuel public et du cinéma, ne semblent pas avantager la production documentaire initiée hors Île-de-France.
En résumé : il existe en régions des savoir-faire de qualité en matière de documentaire, qui ne demandent qu’à se développer sur l’ensemble du territoire mais sont confrontés à un certain nombre d’obstacles. Si un processus de décentralisation est bien à l’œuvre, il est temps de passer à la vitesse supérieure.
Le développement économique et qualitatif de la production documentaire en régions relève avant tout de l’initiative, du travail, du talent et de l’exigence de chacun. D’où l’importance, pour les auteur(e)s comme les producteurs/trices en régions, de se former, de s’informer, de s’inscrire dans des pratiques et des schémas de production diversifiés.
Par ailleurs, les producteurs de documentaire gagneraient à être mobilisés sur l’ensemble du territoire, tant à l’échelle intra et interrégionale qu’au sein des instances représentatives nationales, pour faire évoluer les conditions de la production documentaire vers une plus grande décentralisation.
Les chaînes publiques nationales, financées par la contribution à l’audiovisuel public collectée sur l’ensemble du territoire, doivent davantage travailler avec les auteurs et les entreprises de production établis en régions. Il est nécessaire que les Contrats d’Objectifs et de Moyens de France Télévisions et d’ARTE intègrent systématiquement la question de l’accès des documentaires initiés en régions aux antennes nationales.
En outre, la part - actuellement forfaitaire - réservée au documentaire initié par les antennes régionales et ultramarines de France Télévisions au sein de l’engagement global du groupe dans la production audiovisuelle patrimoniale, doit être augmentée et définie proportionnellement. Le nombre de documentaires coproduits par France 3 pour l’« Heure D » doit quant à lui être revu à la hausse.
Au niveau du CNC, la réforme du soutien au documentaire d’une part, la décision d’abonder les COM régionaux fléchés vers la coproduction documentaire d’autre part, vont avoir des conséquences importantes sur la production d’initiative régionale qu’il est encore trop tôt pour mesurer pleinement. Aussi, est-il primordial que les professionnels et les organisations qui les représentent en régions soient associés à l’évaluation des différentes mesures adoptées.
Une réflexion nationale doit par ailleurs être menée sur les conditions de la production et de la distribution de documentaires pour le cinéma (chronologie des médias, passerelles cinéma-audiovisuel, critères d’éligibilité aux aides à la distribution...), avec la prise en compte des freins spécifiques au développement de longs-métrages documentaires initiés en régions (qualification de la sortie nationale notamment).
Il est, enfin, essentiel que l’accès des professionnels en régions aux informations permettant d’appréhender la production documentaire dans sa complexité, soit facilité de la part de l’ensemble des acteurs concernés, avec la mise à disposition systématique de données intégrant le filtre territorial.
La formation, l’écriture et le développement constituent la R&D de la production documentaire, et doivent par conséquent être intégrés comme un axe prioritaire des politiques territoriales en matière de documentaire audiovisuel, cinéma et nouveaux médias. Cette priorité doit s’incarner dans les soutiens aux œuvres, aux auteurs et aux entreprises de production, et par un accompagnement approprié des professionnels.
Il est indispensable que le CNC, du fait du caractère incitatif de sa politique territoriale, abonde à nouveau les aides à l’écriture-développement de documentaire engagées par les collectivités.
Il est tout aussi essentiel que davantage de collectivités s’engagent aux côtés des Régions dans le soutien au documentaire : les Métropoles, en tant qu’acteurs économiques en pointe de la transition numérique - outil de décentralisation du documentaire par excellence ; les Départements, en tant qu’acteurs de la décentralisation à l’échelle intra-régionale - plus particulièrement dans le contexte de fusion de certaines régions.
Les COM et autres dispositifs de soutien sélectif fléchés vers la coproduction documentaire avec les diffuseurs locaux et régionaux, qu’il s’agisse de télévisions ou de plateformes numériques, doivent être développés en tant qu’outils de décentralisation de la production documentaire.
Enfin, l’économie de la diffusion et de l’accompagnement du documentaire doit être consolidée, avec l’implication de l’ensemble des acteurs concernés : associations d’auteurs, de producteurs et d’exploitants, coordinateurs du Mois du Documentaire, responsables de dispositifs jeunes publics, festivals, médiathèques... Dans cette optique, la rémunération de l’accompagnement des films doit être généralisée, et le Mois du documentaire développé sur l’ensemble du territoire.