Nous entamons ici une série d’articles sur la formation initiale au cinéma et à l’audiovisuel en Bretagne. Période du bac oblige, nous voici de passage au lycée public de Douarnenez, l’un des plus anciens de la région à proposer une spécialisation à l’image. Visite guidée, racontée par Mathurin Peschet, réalisateur : quelques jours avant le bac, la pression monte…

Ce mercredi de juin, il y a un grand soleil sur le petit port breton. Je franchis les portes du lycée Jean-Marie le Bris pour aller rendre visite aux élèves de l’option cinéma la plus à l’ouest du continent. Arrivé à l’accueil, je demande à la dame derrière son comptoir où je peux trouver ces apprentis cinéastes. « Les C.A.V, ils sont au troisième » m’annonce-t-elle. Les C.A.V ? En montant les escaliers, je mets quelques instants à comprendre : Cinéma et Audiovisuel, c’est donc ça ! Salle 309, je repère sur la porte la lune de Méliès qui me fait un clin d’œil.

A l’intérieur c’est sombre et studieux, les rideaux sont tirés et quelques élèves, casques vissés aux oreilles, sont attablés devant des Mac. François Bétou, le prof de réalisation, m’accueille chaleureusement : « Là, c’est la dernière ligne droite pour les terminales, ils finissent leur film de bac… et les journées de montage deviennent de plus en plus longues ! Ceux que tu vois ici ont choisi la spécialité C.A.V, accessible seulement aux littéraires. Cette spécialité, nous sommes les seuls à la proposer dans le Finistère. En Bretagne, il n’y en a que deux autres dans l’enseignement public, une à Rennes et une à Tréguier dans les Côtes d’Armor ». François me précise qu’ils ont aussi des élèves en option C.A.V facultative, accessible à tous les bacheliers. C’est le même esprit que la spécialité, mais avec moins de cours. Et au bac, seules les notes au dessus de la moyenne sont prises en compte: coefficient 6 pour la spécialité et 2 pour l’option facultative. Les élèves peuvent commencer cette option en seconde puis, en première, ils choisissent l’option facultative ou la spécialité; certains font les deux. Ceux qui prennent la spécialité ont 5 heures d’audiovisuel par semaine, contre 3 heures pour l’option. Au bac, Ils doivent donc réaliser un film de moins de 10 minutes et le défendre devant un jury, en plus d’une épreuve écrite.

« M’sieur, j’ai un message d’erreur ! », appelle une voix inquiète au fond la salle. François vole au secours de l’infortuné. J’en profite pour me poser à côté de Glenn, un jeune à capuche et à queue de cheval. « Tu montes quoi ? Une sorte de comédie multi parodique », me répond Glenn avec aplomb. Il me montre quelques images de son film. Il y joue son propre rôle de lycéen planchant sur l’épreuve du bac et imaginant des scénettes dans différentes ambiances, horreur, aventure, comédie, etc. Et à la fin, un public l’applaudit… Pour la suite, Glenn se voit bien s’orienter dans le scénario ou la réalisation. « Pas comme acteur, me dit-il, là j’ai la preuve que c’est pas trop mon truc ! »

François me fait visiter leurs locaux. Il y a une salle pour le montage, une classe pour l’analyse de film avec un décor, la salle du matériel et une pièce pour l’animation, le tout regroupé au même étage. « Le but du lycée, avec cette section CAV, n’est pas de préparer les élèves à une voie professionnelle, mais de leur apporter une culture générale de l’audiovisuel. Nous sommes plutôt dans la découverte culturelle, même si il y a aussi une dimension pratique très importante. On veut que les élèves se montrent responsables et autonomes, sur les projets de réalisations notamment. On leur apprend aussi à travailler en collectif. Chaque année, quelques lycéens nous arrivent avec le projet de travailler dans l’audiovisuel plus tard, une option comme la notre est un atout pour eux, c’est certain. Mais ce n’est pas le cas de la majorité qui voit en l’option plutôt un moyen d’ouverture culturel. »
François travaille en binôme avec Hervé Le Coursonnais, prof d’histoire du cinéma et, paraît-il, une encyclopédie vivante du 7ème Art. Lui s’occupe plutôt de la pratique, avec une spécialité animation. Il m’apprend que la section audiovisuelle date de 1986, et qu’elle est une des pionnières du genre en France. Elle attire des élèves de tout le Finistère, et même parfois du Morbihan et des Côtes d’Armor. La sélection se fait surtout sur la motivation et le nombre de place en internat. La spécificité de Douarnenez, c’est un programme très dense en films, de nombreux intervenants. Tout proche, le cinéma associatif Le Club, avec l’équipe de Claudette Leflamand, leur mitonne un programme aux petits oignons. Au menu, en moyenne deux films par semaines, toujours en VO. En plus de ce régime enrichi en projections, les élèves assistent au moins à quatre festivals dans l’année. La prochaine sortie est alléchante : en septembre, ils prévoient d’aller au festival de San Sebastian, dans le pays Basque espagnol !

Pour les intervenants, c’est l’association Daoulagad Breizh, relais culturel de l’option, et son animateur Erwan Moalic qui s’en chargent. Cette année, les lycéens ont ainsi rencontré une quinzaine de professionnels. Les liens sont étroits avec le festival de cinéma de Douarnenez, pas mal d’élèves y participant comme bénévoles. Les subventions de la DRAC et de la Région Bretagne financent l’option, mais pas uniquement, des projections sont organisées pour récolter des fonds.

Nous revenons dans la salle de montage. François est aussitôt rappelé à la rescousse. « M’sieur, comment on fait pour changer la police de caractère ? » Je profite de l’intermède pour m’asseoir à côté d’Armel, qui vient de Confort Meilars. Lui aimait bien les films d’actions, a touché un peu à la réalisation avec ses copains et, de fil en aiguille, s’est retrouvé au C.A.V…. où il a l’air d’être comme un poisson dans l’eau. Son film s’inspire de la BD Pascal Brutal, de Riad Sattouf. Il y a de l’action, c’est prometteur ! Pourtant Il m’annonce d’emblée : « Je ne considère pas mon film comme réussi. » En discutant un peu, il me dit que ce qui l’intéresse à terme, c’est le journalisme et d’abord il ira sans doute en fac d’histoire à Brest.

Et d’ailleurs, que deviennent les lycéens du C.A.V après le bac ? François m’explique que beaucoup partent pour des BTS d’audiovisuel, la fac Art du Spectacle à Rennes 2 ou aux Beaux Arts… Et après, certains font carrière dans le métier : Le vidéaste Thierry Salvert, la monteuse Emmanuelle Pencalet, le réalisateur Théo Jourdain, ou encore Stéphane Lerouge, qui dirige la collection des bande originales à Universal, sont passés par Douarnenez…

« M’sieur ! M’sieur ! il y a mes fichiers qui sont offline ». Décidément, François est le sauveur universel. Je rejoins Lisa qui elle aussi planche sur son film. C’est un clip de Gotye, de la pop, où elle a choisi de mettre en scène les paroles qui racontent une rupture sentimentale. Lisa vient de Scaër, elle est interne au lycée. Elle a découvert l’option C.A.V lors d’un salon à Quimper, avec François sur un stand ; après leur rencontre, elle a tanné ses parents pour venir. Elle aime bien cette section, les cours, les profs, mais elle va plutôt essayer de devenir professeur de français… « Le tournage, c’est pas mon truc », me dit-elle, « je ne sais pas quoi faire, je panique … » Pourtant en regardant quelques plans, je vois quelqu’un derrière la caméra qui sait cadrer, et c’est déjà beaucoup ! La cloche sonne, répondant à un vieux réflexe, je me lève et je m’en vais…

Courage Lisa, courage Armel, courage Glenn et les autres ! Ces lycéens m’ont paru bien matures. A cet âge, je n’avais pas cette ouverture sur l’audiovisuel. En quittant la section cinéma de Douarnenez, je me demande pourquoi je suis passé à côté, j’étais à Quimper pourtant, pas très loin, j’aurais aimé être là… Des profs sympas, pleins de films, du bon matériel, des voyages, des rencontres… Il y a tout ! Pour ceux qui veulent venir appendre un peu de cinéma à Douarnenez, allez voir, c’est à l’ouest tout là-bas, au lycée Jean-Marie le Bris : du nom de celui qui, le premier, fit voler un avion en forme d’albatros au 19ème siècle.

Mathurin Peschet