Il est arrivé aux manettes de la chaîne au plus fort de la crise, alors qu’actionnaires et financeurs publics diminuaient leur apport de manière drastique. Mais aujourd’hui, Dominique Hannedouche respire mieux, même s’il a dû se séparer de salariés : la chaîne renoue avec l’équilibre. Les locaux ont été repeints en rouge, et sur les murs le slogan « la vie d’où je vis » se veut le signe d’un nouveau départ pour cette télévision locale, une des plus anciennes de France, qui fête cette année ses 25 ans. Rencontre avec son directeur.

– D’où venaient les difficultés rencontrées par TVR ?

– Dominique Hannedouche : il y a eu un problème très conjoncturel, venu des difficultés de Ty Télé, avec qui nous avions un accord de mutualisation et de sous-traitance de la comptabilité et de la diffusion. Cette dette importante n’a pas été réglée, et Ty Télé est d’ailleurs en redressement judiciaire depuis l’automne dernier. Ensuite, il y a eu un problème plus structurel, nos financeurs se sont désengagés au même moment en raison des difficultés provoquées par la crise économique. Les actionnaires privés, la Caisse d’Epargne, le CMB, Ouest France, le Télégramme et la CCI Rennes Bretagne ont diminué leur contribution de 400 000 euros en 2011. Enfin, le Conseil général d’Ille et Vilaine a diminué de moitié son apport, de 1,2 millions sur trois ans, on est passé à 600 000 euros. C’était une nouvelle épreuve.

– Et tout cela est arrivé en même temps ?

– Oui, nous nous sommes retrouvés en négatif de 518 000 euros sur l’exercice 2011. Mais nous sommes encore là ! Je dirai même que cette crise a été salutaire, nous obligeant à interroger notre modèle économique. La première chose que j’ai voulu faire, c’est changer l’image de la chaîne, afin d’aller chercher de nouveaux acteurs privés, à travers le parrainage et la coproduction. Ainsi nous avons créé un club d’entreprises, avec qui nous produisons une émission économique. Nous bâtissons des partenariats, comme avec Rennes Atalante, ou le Stade Rennais. La couverture des événements est sponsorisée : les festivals, les compétitions sportives, les salons comme le Space. Certains reportages sont ensuite réutilisés par nos sponsors sur leur propre site. On réalise des émissions généralistes et d’autres plus ciblées : Station Colombia pour les jeunes, un nouveau talk show féminin Les Pipelettes. Nous gardons un 26 mn d’info quotidienne, et nous travaillons sur le pilote d’un jeu, un quizz sur la Bretagne, sponsorisé par des commerçants.

– Ces sponsorings ne risquent-t-ils pas de peser sur votre liberté éditoriale ?

– nous faisons bien la différence à l’antenne entre ce qui est un simple billboard, un programme sponsorisé, et ce qui est de l’éditorial contraint, un publireportage. C’est un modèle qui ressemble à celui de presse écrite régionale : une info de proximité, et de temps à autre des suppléments financés. Si nous passons un partenariat avec une entreprise, et que quelques mois après il y a une grève, rien ne nous empêche de couvrir la grève ! Si nous nous contentions de l’argent public, nous ne pourrions pas faire évoluer nos programmes, et leur donner l’ambition nécessaire pour aller sans cesse chercher de nouveaux téléspectateurs. Aujourd’hui, nous sommes à parts égales entre les subventions et le financement privé, et revenons à l’équilibre ou presque dès cette année. Nous avons doublé notre chiffre d’affaire en deux ans. Je suis persuadé que le vrai modèle opérationnel et économique d’une chaîne locale est de se mettre au service des acteurs du territoire. Pour opérer ce redressement, il a fallu aussi faire des efforts en redimensionnant la chaîne de 32 à 25 personnes. Mais peu ou prou, toutes les chaînes locales de grandes métropoles tournent aujourd’hui autour de 25 personnes , c’est un bon étiage.

– Qu’en est-il aujourd’hui de votre effort sur la coproduction documentaire, et la création d’oeuvres originales ?

– Je suis très fier de ce que nous avons créé avec le COM ( contrat d’objectif et de moyens), passé avec la Région Bretagne et nos autres partenaires Tébéo, Ty Télé et Armor TV. La Région nous a suivi pour pallier la baisse des coproductions de France 3 Ouest, et cela nous a permis de soutenir des films mieux financés, grâce au compte de soutien automatique du CNC. Nous proposons également des apports en industrie, notamment en mixage. En 2011, 30 documentaires ont vu le jour grâce à cette plate-forme ! Si nous avons été à l’initiative de cette dynamique, nos collègues se sont très vite appropriés ce travail de coproduction et sont aujourd’hui très investis.

– Vous avez poussé plus loin cette syndication avec vos collègues de Brest et de Lorient ?

– Je préfère le mot mutualisation plutôt que syndication. Rien n’est imposé d’en haut, nous ne sommes pas jacobins ! Nous sommes les seules chaînes locales à aller aussi loin dans l’échange de programmes en France. On s’entend bien, et on va même faire des séminaires de travail en commun, nos rédactions se parlent, s’échangent des sujets. Il n’y a pas de concurrence, nous sommes complémentaires ! Et en ce qui concerne Ty Télé, les perspectives commencent à s’éclaircir. Deux offres de reprise ont été déposées au tribunal de commerce fin août, l’une par les actuels dirigeants, l’autre par le Télégramme. Cela veut dire qu’il y aura une solution de continuation pour la chaîne, et pas d’écran noir, ce qui aurait mis en danger le COM régional. C’est une grosse épine qu’on nous retire du pied !

– Quelles sont vos perspectives d’avenir ?

– Après l’équilibre ou presque cette année, j’espère que nous commencerons à faire des bénéfices en 2013. Je suis persuadé qu’internet va prendre le pas très vite sur l’antenne, et nous travaillons à une synergie maximale entre les deux. Aujourd’hui, le web est une vitrine de la télévision, demain ce sera l’inverse, il faut s’y préparer. Tous nos programmes vont avoir une déclinaison web. Il faut créer les conditions de rapprochement entre la presse écrite et la télévision. Il faut savoir que nous luttons actuellement pour rester visible sur la TNT, le CSA veut nous reculer de 10 numéros pour caser les 6 nouvelles chaînes ! Et notre gros souci c’est l’ADSL, pour l’instant il n’y a que Orange qui nous reprend. Reste à convaincre Free, Sfr, etc…mais la liste d’attente est longue. On aimerait, avec les autres chaînes locales, avoir plus de visibilité avec un même numéro sur les écrans d’accueil, par exemple le 20 ou le 30 partout en France. Et que l’on puisse choisir sa chaîne locale préférée dans un menu déroulant.
– Cela veut dire à terme que vous pourrez être vu partout, et vous libérer de votre zone de diffusion géographique ?
– Oui, cela donne de nouvelles perspectives. Nous sommes en national sur Orange depuis juin dernier, donc potentiellement sur tout le territoire national. Au moment des Transmusicales, nous comptons faire un direct de 4 h, cela peut intéresser tout le pays, et offrir ainsi une formidable vitrine nationale à notre territoire.

– Est-ce que vous avez des webdocs dans vos cartons ?

– Oui, deux, mais nous n’avons reçu que très peu de projets. Cela nécessite beaucoup de développement.

– Allez-vous faire de la télévision de rattrapage sur votre site ?

– Oui, en ce qui concerne les oeuvres coproduites, nous envisageons de les proposer en replay pendant une semaine après le passage antenne. Quand aux émissions de flux, nous avons en consultation libre deux ans de production, et nous sommes en train de numériser tous les reportages depuis le début de TV Rennes. A terme, la logique voudrait que tous les programmes puissent être revus sur le site, et pourquoi pas être présents sur la future bibliothèque numérique de la Région ? Nous avons encore des progrès à faire sur la lisibilité de notre grille, qui est accessible via une application Iphone. Nous aurons la version sous Androïd et pour tablette en 2013. Pour la nouvelle grille, qui vient de démarrer, nous nous sommes inspirés du cadencement de la Sncf pour la rendre plus lisible: on lance les magazines à l’heure pile, les infos à la demie. Pour les docs, c’est à 21 heures et 23 heures.

– Que pensez-vous de ce qu’a déclaré Aurélie Filipetti récemment au Monde, à propos de la télévision décentralisée: les contraintes économiques feraient qu’elle privilégierait l’échelon local au détriment des France 3 Régions ?

– Déjà qu’une ministre pense à évoquer les télévisions locales est un sacré pas en avant pour notre secteur. France 3 a été conçue et organisée dans une vision jacobine. En Bretagne, nous faisons l’expérience de chaînes on ne peut plus décentralisées, qui savent s’unir et travailler ensemble pour mettre en oeuvre une production et une offre de programmes à l’échelle de la Région. C’est juste le processus inverse de celui de France 3, mais ces 2 modèles doivent-ils forcément s’opposer ?

propos recueillis par Brigitte Chevet