Le 15 novembre, le 27ème Festival Européen du Film Court de Brest va sentir la poudre. La société Tita Productions y présentera en avant-première la collection « Braquages », cinq films noirs réalisés par Thierry Aguila, Stefan Le Lay, Gaël Naizet, Lisa Diaz et Paule Sardou. On pouvait craindre un certain conformisme, tant le thème générique peut paraître éculé aux amateurs du genre. Gérard Alle, auteur, entre autres, d’un mémorable « Il faut buter les patates » dans la collection Le Poulpe, en a piloté l’écriture. Et « Braquages » a su éviter les facilités, pour nous réserver quelques jolies surprises: comme Stefan Le Lay en interprète, tout en tension, d’un personnage d’agriculteur à cran… ou une conception du braquage Nord-Sud qui, pour une fois, n’implique pas le FMI. Il aura fallu plus de deux ans aux producteurs Laurence Ansquer et Fred Prémel pour calibrer ces cinq courts métrages entre Douarnenez et Marseille. Cela méritait bien un interrogatoire en règle.

– Dans le monde du court métrage, les producteurs affirment souvent que les films de genre sont les plus difficiles à produire. Pourquoi vous compliquer la vie avec une collection de films noirs courts ?

– Fred Prémel : Sans doute parce qu’on aime les paris impossibles…Notre désir initial était de créer une collection cohérente autour d’un thème fédérateur et lisible immédiatement. Effectivement, nous avons essuyé des réticences car, au-delà du genre des films, c’est surtout les collections de films courts qui ont du mal à trouver leur place sur les chaînes qui n’ont pas vraiment de cases pour cela. Le court-métrage français est censé être une œuvre forte proposée par un auteur, dans laquelle il va s’y révéler ou s’y affirmer. Des courts métrages initiés par des producteurs, ce qui est le cas des films de cette collection, ne sont pas courants. Pour nous, ce fut un réel défi, en terme artistique et en terme de production. Ceci dit, depuis six ans nous produisons 4 à 6 films courts chaque année et la collection Braquages ne déroge pas à la règle : chaque film est difficile à produire.

– Laurence Ansquer : C’était aussi l‘envie de travailler à nouveau sur une collection, un travail que nous avons amorcé il y a plusieurs années, et que nous souhaitions réitérer. On savait que, pour évoluer dans ce format, il fallait renforcer le travail d’écriture, trouver une ligne forte qui pouvait porter un désir commun.

– Comment émerge la thématique Braquages ? Comment se fait le choix du directeur d’écriture ?

– F.P. : C’est Gérard Alle, le directeur de collection, qui a proposé Braquages. Avec ce titre fort, on gagne beaucoup de temps dans le récit : pas besoin d’entrer dans les détails, on sait dès le départ qu’il y aura des braquages dans chaque film. Le challenge est alors de surprendre le spectateur sur la manière dont chacun de ces braquages va se dérouler. Nous connaissions Gérard et son travail depuis longtemps et nous guettions le projet propice à une collaboration. En tant qu’auteur de polars, il avait déjà coordonné plusieurs collections, dont celle de Léo Tanguy aux Editions Coop Breizh, que plusieurs auteurs se sont ensuite appropriés. On savait qu’il saurait réunir autour de lui un « pool » d’auteurs qui s’embarqueraient avec enthousiasme dans ce projet.

– L.A. : L’idée de renforcer le travail d’écriture en proposant des duos auteurs de polars/réalisateurs nous a vraiment séduits et la confrontation a souvent été riche. Parallèlement, on avait aussi envie de travailler sur plusieurs territoires, d’essayer de fédérer nos réseaux et de monter une coproduction cohérente. Nous avons donc décidé d’ancrer le projet dans les régions Paca, Bretagne, Pays de la Loire et Nord-Pas-de-Calais.

– Pouvez-vous nous présenter les deux autres auteurs ?

– F.P. : Les films devant se dérouler dans des décors identifiables, Gérard a proposé à Gilles Del Pappas, auteur marseillais, et Mouloud Akkouche, qui a des racines au Mans, de participer à l’écriture. Tous les deux ont des univers singuliers, reconnus dans le monde du polar, et avaient déjà collaboré à des projets de films. Leur incursion dans Braquages était donc justifiée.
Au départ, il y avait un quatrième auteur, Francis Mizio. Mais les scénarii auxquels il a collaboré ne sont pas encore tournés, on les garde pour la « Saison 2 ».

– Comment s’est mise en place l’écriture ? Sous quelles contraintes ?

– F.P. : Nous avons demandé aux auteurs de proposer plusieurs synopsis de films courts, des histoires racontables en 10 minutes, qui se déroulaient sur des territoires reconnaissable et qui contenaient un braquage. Ce sont les seules contraintes que nous avons données. C’est le directeur d’écriture qui s’est chargé de coordonner cette première étape avec les trois autres auteurs.
Une fois que nous avons arrêté nos choix sur des synopsis, nous les avons proposés à plusieurs réalisateurs.
Très vite est venue l’idée que cette collection devait être produite pour les chaînes de télévision. Nous savions que nous n’allions pas développer ces films en espérant les financer avec l’argent du cinéma, la contribution financière du CNC notamment.
Les premiers à avoir été séduits par l’idée furent Jacqueline Irlande et Dominique Hannedouche de TVR. Ce sont eux qui ont rendu la collection possible en y croyant. Même si on ne savait pas exactement comment nous allions réussir à tous les financer, car la chaîne rennaise s’engageait à coproduire uniquement les deux films tournés en Bretagne. La plateforme des télévisions locales de Bretagne est donc vite entrée dans le jeu, ainsi que Télénantes, puis le réseau TLSP.
Les chaînes locales permettaient cette liberté d’écriture et de durée, et étaient sensibles au fait d’avoir à l’arrivée un programme « frais » d’une heure de fiction éditorialement facilement identifiable.

– L.A. : Ça a très bien débuté, un développement sur les chapeaux de roues, un bel enthousiasme autour du projet qui nous a permis de réunir les financements nécessaires pour organiser une résidence d’écriture à Marseille et pour rémunérer chaque auteur et chaque réalisateur. C’est assez rare tout de même, qu’on parvienne à payer les auteurs dès le développement, en tout cas sur des courts métrages.

– Le thème du braquage me semblait un peu éculé. Pourtant, cela ne se ressent pas dans les films. Comment avez-vous contourné cet obstacle ?

– F.P. : Alors ça, il faut le demander aux réalisateurs ! C’était une crainte effectivement. Je crois qu’aujourd’hui les braquages envahissent les gros titres des journaux. C’est populaire ! Un braquage, c’est toujours l’assurance d’une histoire qui sort de l’ordinaire, avec une grande fascination pour les braqueurs. Tout le monde rêve de faire un braquage. Dans nos films, chaque braquage met en scène des gens tout à fait ordinaires, mais c’est ce qu’ils mettent en place qui les distingue. En ce sens chacun peut s’y retrouver, la seule différence est que le personnage du film ose. C’est un autre point commun entre les films : mettre des gens ordinaires dans une situation extraordinaire, qui va les marquer pour toujours, qui aura une vraie répercussion sur leur vie après.

– Comment s’est fait le choix des réalisateurs ? À quel moment du développement du projet ?

– F.P. : Dès que nous avons choisi les synopsis, donc très tôt. Nous avons proposé le projet à 10 réalisateurs, 8 ont accepté et cinq films ont été tournés à ce jour (NDLR : deux films restent à tourner dans le Nord-Pas-de-Calais). L’exercice proposé était délicat, car il s’agissait de s’emparer de l’univers de quelqu’un d’autre, puis de coécrire avec lui. Certains ne sont pas à l’aise pour ce type de collaboration, ce que nous comprenions très bien.

Les choix se sont faits en essayant de créer une équipe de réalisateurs qui auraient chacun leur univers. C’est ce dont nous sommes le plus heureux aujourd’hui, de voir que ce pari a marché. Si vous voyez les cinq films, il est frappant de constater à quel point chaque réalisateur a embarqué son histoire dans son monde de cinéaste. C’est aussi ce qui nous plaît dans les collections : rencontrer et travailler avec des désirs de films aussi variés.

L.A. : Pour certains, on avait envie depuis longtemps de leur proposer quelque chose. En Bretagne, c’est Gérard qui a proposé Gaël Naizet et Stefan Le Lay, il souhaitait écrire pour eux, et nous étions, Fred et moi, convaincus par son choix.

– Quel est le budget de Braquages ? L’économie globale du projet a-t-elle été facilitée par le fait que vous produisiez non pas un, mais cinq films ?

– F.P. : Le budget global des cinq films est 350.000 euros, sachant qu’il y a des variations entre les films, certains ayant été mieux financés que d’autres. Il y a beaucoup de partenaires, mais il y a 25% d’apports producteurs et 20% d’apports en industrie. Donc le financement en numéraire réuni n’est pas élevé au regard de ce que coûte la fabrication d’un film. Nous avons eu la chance d’avoir une très belle coproduction avec Neon Productions, un producteur marseillais qui a amené tout le matériel caméra, mobilisé pendant presque trois semaines. Sans cela, on ne passait pas.

On s’est fait un peu peur car on est parti en production avec seulement 70% du financement. Mais nous tenions à tourner les cinq films sur la même période, pour des économies d’échelle possibles, et pour profiter des énergies. C’est tout de même une question de désir, d’énergie, tout ça. Si nous avions du lancer cinq fois une petite production, je ne sais pas si les derniers auraient profité d’un tel élan. Au niveau économique, l’intérêt était surtout pour les techniciens qui étaient engagés sur de nombreux jours et pouvaient donc accepter les conditions proposées, ainsi que sur le matériel, et bien sûr la postproduction. On négocie mieux cinq films qu’un seul, 50 minutes plutôt que 10.

– L.A. : Ce qui était magnifique, c’est que dès qu’un partenaire nous rejoignait, nous n’avions pas une bonne nouvelle à annoncer à un réalisateur, mais à cinq réalisateurs et à trois auteurs. Car l’engagement d’un partenaire sur un film libérait du budget pour les autres, et inversement. C’était très collectiviste, comme type de production.

– Braquages nous entraine à Marseille, à Douarnenez, à Brest… Les ports ont-ils été propices à cette collection ? Sont-ils des espaces urbains inspirants ?

– FP : Oui, là où il y a des connexions pour partir ! Cette idée du voyage, du départ, du déplacement est très présente dans les films, indéniablement. Nous l’avons certainement encouragé, car effectivement nous avons l’habitude de travailler dans de nombreux pays et sur de nombreux territoires.

– L.A. : Là encore, les territoires ont été au centre dès la construction du projet. Et les réalisateurs vivent pour la majorité, hormis LisaDiaz, là où ils ont tourné. Je pense qu’ils avaient tous envie de raconter quelque chose sur leur ville. Qu’ils avaient le désir de la filmer, pour certains de manière assez réaliste, et que les « Braquages » leur ont donné cette opportunité.

Propos recueillis par Jean-François Le Corre

BRAQUAGES / jeudi 15 novembre à 19h30 au Petit Théâtre du Quartz de Brest