Le réalisateur Pierre Goetschel est en Bretagne pour présenter « Rond-point », un des Coups de coeur de la coordination régionale du Mois du documentaire. Rencontre entre deux projections.

Le film de Pierre Goetschel est une promenade monomaniaque d’un mystérieux personnage dans l’univers des ronds-points, cette France des rocades, des noeuds autoroutiers, des banlieues périphériques, des ZAC, des ZI, des ZUP… Son voyage au pays des « logiques de rationalisation », en compagnie d’un représentant en fleurissement urbain, d’un lama tibétain, d’urbanistes, de maires, d’un joueur de vielle, d’un derviche tourneur, d’un sculpteur, d’un anthropologue, révèle l’absurdité de notre monde «aménagé ».

D’où est venu ce désir de film ?

Je suis un disciple absolu de l’écrivain George Perec. Je pense que si Perec avait vécu jusqu’au moment où ont explosé les ronds-points en France, il aurait consacré quelques lignes à ces espèces d’espaces. C’était dans les années 80, c’est à peu près l’époque où Perec est parti, c’est l’époque où moi j’ai grandi. Ce qui m’a intéressé, ce n’est pas ce que l’on pourrait appeler l’extraordinaire mais l’infra ordinaire. Au fond, tout ce qu’on parcourt, tout ce qu’on arpente sans cesse sans le regarder, sans y penser. L’idée du film, c’est de s’arrêter là où on ne fait que passer. Et puis, peut être que le fait marquant de la transformation de la France de ces vingt ou trente dernières années, c’est la transformation de son paysage, de son territoire, l’apparition de ces équipements, de ces aménagements et les giratoires. Les ronds-points sont un peu l’acmé parfois absurde de cette histoire. Moi, j’ai voulu les interroger sous un angle libre et poétique pour éviter de se retrouver à ne faire qu’en pleurer.

Avez-vous eu le sentiment d’évoluer au cours du tournage ?

La démarche que l’on a eu (avec le chef opérateur, Jérôme Colin), c’était vraiment de s’immerger dans le monde de la route. On a tourné dans un camping-car, et on y a même dormi. On a joué le jeu de ne rester que dans l’espace routier, des parkings, des aires de supermarchés, d’autoroutes. Finalement, on a fait l’expérience qu’avait faite Cortazar de ne vivre immergé que dans cet espace de la mobilité, du déplacement. Et, au fond, on est renvoyé à soi-même puisque les repères autour de nous finissent par s’abolir. L’espace de cette mobilité, l’espace de ces ronds-points qui ne font que renvoyer à d’autres ronds-points, c’est un espace virtuel. C’est la préfiguration du monde des réseaux et de la mondialisation. Je pense que les ingénieurs routiers n’avaient pas vu cette dimension-là. Ce parcours renvoie à la question toute simple de : où vit-on ? Quel rapport sommes-nous capable d’instaurer à l’espace dans lequel nous circulons ?

Oui, en effet, vous partez d’un sujet qui pourrait être un peu anecdotique, un peu kitch et, au final, on en arrive à des pensées presque philosophiques sur notre vie…

Le point de départ du film, c’est le plus banal, le plus ordinaire. On voit bien que les logiques de rationalisation, les logiques d’équipements, nous aménagent un décor. On est dans l’espace d’un décor et c’est un peu ce parcours que le film propose. Une espèce de parcours qui nous invite à penser, à décrypter l’espace de notre quotidien. Ce sujet offre évidemment une dimension métaphorique et symbolique. Les ronds-points, je les ai pris un peu comme une métaphore. Métaphore d’un monde autour duquel on tourne, dans lequel on glisse, on ne fait que passer et qui, finalement, installe une espèce de rapport d’étrangeté au monde. Dans ces espaces ultra aménagés, on devient un peu des étrangers à l’espace que l’on parcourt et l’espace dans lequel on vit.

Comment ressortez-vous de cette expérience ?

Ce qui m’a fasciné, c’est, qu’au bout d’un moment, je ne savais plus où j’étais. J’étais d’une manière indistincte dans une région que je parcourrais mais qui aurait tout aussi bien pu être la Bretagne, le Sud Ouest ou le Centre, le nord de la France. L’effet de standardisation de l’aménagement renvoie à une espèce d’uniformité évidemment, donc je me suis senti un peu, non pas perdu, mais en tout cas désorienté et « virtualisé ». Renvoyé à un espace complètement abstrait. C’est ça qui était assez frappant dans ce parcours.

J’ai beaucoup aimé le plan de fin, comment l’avez-vous pensé ?

Cela fait partie des plans qui n’ont pas été écrits, qui n’ont pas été pensés avant et qui font partie des choses que l’on découvre à force d’être immergé dans ce parcours. On était en train de déjeuner avec le chef opérateur dans un restaurant qui donnait sur la plage de Plérin, une très belle plage. Juste en face de nous, de façon presque orthogonale et géométrique, il y avait un chenal avec des bouées qui s’étendaient presque à perte de vue vers la mer. Effectivement, on s’est dit qu’il y avait une géométrie assez extraordinaire dans ce plan de nature, qui est finalement un retour à la nature. Et on s’est dit, que cela serait une fin intéressante à double titre. Car, si l’on essaie de regarder ce que raconte ce plan, on se rend compte que, même quand on essaie de s’échapper à la giration, on se retrouve pris encore une fois dans des chenaux, dans des chemins qui nous sont tracés, qui nous sont destinés au fond. Le personnage va vers son destin, mais la terre est ronde donc il va vers l’horizon et, au fond, il disparaît au centre du cadre comme disparaissent les personnages burlesques. La mort du personnage burlesque, c’est de disparaître dans et au centre du cadre. C’est un peu ce que raconte ce plan, qui n’est qu’un plan de ligne droite, qui n’est qu’un plan où le cercle a disparu… même si, encore une fois, la terre est ronde.

Propos recueillis par Lauriane Lagarde

Retrouvez Pierre Goetschel et d’autres réalisateurs programmés dans le cadre du Mois du film documentaire sur le site du Comptoir du doc.

Rond-point / 2010 / 52′ / une coproduction Les Productions de l’Oeil Sauvage – Candela Productions

> En novembre, le film est également programmé dans la compétition du festival Traces de Vies de Clermont-Ferrand.