Rencontre cannoise avec le réalisateur Paul Manate qui met en scène Vikash Dhorasoo dans « À l’arraché ».

Trois tables en plastique blanc et parasols publicitaires, il a préféré la terrasse cannoise la plus dépouillée car il dit aimer « les boui-bouis ». Il n’a pas l’air froissé du festivalier en deuxième semaine bien qu’il ait passé une partie de sa nuit à la soirée Carlos, donnée en l’honneur de la série télé d’Olivier Assayas. S’il a pu entrer dans l’une des fêtes les plus prisées de Cannes 2010, c’est qu’il est l’invité de la Semaine de la Critique pour présenter un court métrage dans lequel il a dirigé Vikash Dhorasoo, l’ancien footballeur. Et ce court métrage est coproduit par Canal+ qui a aussi financé le biopic du terroriste.
Comment dois-je l’appeler dans mon billet ? Paul Raoux comme le mentionne son état civil ou Paul Manate comme le désigne son badge ? Ce sera Manate, qu’il a choisi en clin d’œil à son métissage polynésien.

« IT’S EASY TO SAY YES, BUT IT’S NO »
Il est né en 69 et diplômé de Sciences Po, option communication et journalisme. Lors d’un stage à l’Association Française des Producteurs de Films, il participe avec Anatole Dauman et Alain Rocca à la création du Centre Européen de Formation à la Production de Films. Il ne faut pas longtemps pour qu’il ressente « le désir d’aller sur le terrain, pour voir ». Nouvelle rencontre avec un producteur qui va compter dans son parcours : Nicolas Brévière de Local Films. À partir de 1995, il va travailler pour cette société et passer par tous les postes, de la régie à la direction de production, sur une dizaine de courts métrages. Puis l’envie de réaliser le démange. Il propose des portraits de musiciens et va en réaliser trois.
La rencontre avec la chanteuse de jazz Abbey Lincoln va être son film fondateur. « Je suis très fier de ce portrait car j’ai mis un an à la convaincre de faire le film » raconte-t-il, « je suis allé à New York avec mon producteur pour la rencontrer et j’ai été maladroit, trop raide. Je me souviens encore de son appel et du message claquant sur le répondeur : It’s easy to say yes, but it’s no ». Son producteur rappelle la diva, rattrape le coup et obtient deux demi-journées de tournage. Abbey Lincoln is (1998 / 52′) est diffusé sur Paris Première puis ARTE et primé au Festival de Montreux, une référence.
Parallèlement à ses réalisations qui ne suffisent pas pour payer les factures, Paul travaille comme directeur de production et garde un souvenir fort de son travail avec François Ozon sur Regarde la mer ou Sitcom.
En 1999, c’est au tour de Terry Callier, une autre figure mythique (et oubliée) du jazz et de la soul US, d’inspirer sa caméra et en 2000, première fiction. Il tourne en Alsace un film imprégné de son histoire familiale. Ina raconte une fille qui vient de Polynésie et qui est adoptée par des métropolitains. « Mon premier rapport à la fiction a été douloureux » explique-t-il sans pathos, « c’est dur d’avoir la charge de vingt personnes quand tu viens du documentaire. Je ne maîtrisais rien, mais il fallait que je passe par là. J’ai du mal à revoir le film que je trouve académique ».

CORPS À CORPS
Il lui faudra plus de sept ans pour retourner vers la fiction et en 2008, il tourne en Bretagne Mes quatre morts. Encore un sujet lié à Tahiti… et une galère de post-production : une grosse rayure sur un plan, des problèmes de fixité et le voilà contraint de réécrire le film au montage. Il se débat encore avec son second court lorsqu’il prend connaissance du thème du concours de scénarios que Canal+ propose dans le cadre de sa Petite collection. « Cette année, le thème de la crise m’intéressait et quand j’ai découvert le nom de Vikash Dhorasoo dans la liste des comédiens pour lesquels il fallait écrire, j’ai plongé. J’ai joué en club dès l’âge de huit ans et les sportifs de haut niveau me fascinent ».
Il propose l’histoire d’un champion régional de lutte libre qui, confronté à des problèmes financiers, va être contraint à un choix radical. « Je savais que Vikash venait du Havre, de la cité HLM. Je voulais retourner le truc de la star qui retourne à la cité », explique-t-il, « je voulais écrire un drame associant lutte individuelle et lutte collective. La lutte est l’un des plus anciens sports de combat, très brut ». Et la confrontation sémantique entre « corps social » et « corps à corps » qu’il a recherchée est tangible dans les douze minutes que durent À l’arraché. L’ancien footballeur est surprenant de sobriété et Paul Manate filme son désarroi et son étouffement avec justesse.
Pour mener à bien ce projet, il a fallu entraîner Dhorasoo. Avec sa production, Tingo Films, il se tourne vers les frères Steeve et Christophe Guenot, double médaillés en lutte gréco-romaine aux JO 2008. Mais leur prestation est hors de prix. « Nous nous sommes alors adressés à Mélonin Noumonvi, vice-champion du monde de lutte libre qui a accepté d’entraîner Vikash parce qu’il était fan du PSG où avait joué l’ancien international ». Le champion s’entraînera six à huit fois et, à cette occasion, le réalisateur découvre la superbe salle de l’INSEP qui lui permettra de composer le plan de fin de son film.
Le patron du « boui-boui » nous chasse gentiment car des clients qui ont faim attendent que nous libérions son mobilier de jardin. Il est temps de conclure. Paul Manate en a fini avec la douleur de sa première fiction. Lui qui connaît bien les circuits de la production veut utiliser cet acquis pour « aller là où (il) veut. Essayer de ne pas tomber dans la concession ». Il travaille sur le scénario de Paradise, un long métrage qui a reçu l’aide à la réécriture du CNC et le soutien de la Région Basse-Normandie. « Cette histoire se déroulera à Tahiti… ».

Jean-François Le Corre

Photo : Vikash Dhorasoo et Paul Manate, Cannes 2010