Pitch dating brezhonek : Petra nevez ? Quoi de neuf ?


Ils font claquer les sonorités de « Pitch brezhonek » avec une gourmandise évidente. Ils ? Les permanents de Daoulagad Breizh, les producteurs associés à ces journées et les apprentis-réalisateurs qui ont le breton bien au chaud dans leurs sacoches, alors qu’ils viennent rencontrer des diffuseurs, pour que « rêver et réaliser son film » se conjugue dans toutes les langues. Et d’abord en breton, evel-just ! 

Août 2014. Daoulagad Breizh et quelques professionnels décidaient de tenter un exercice habituel dans tous les marchés du film, mais inconnu à Douarnenez : le pitch dating. Permettre à des porteurs de projets de films en breton de convaincre, en très peu de temps, des producteurs et des diffuseurs de les accompagner.

Erwan Moalic, le directeur de Daoulagad, écrivait alors : « D’une part, lors des présélections, nous avons constaté, depuis plusieurs années, un manque de projets nouveaux en breton, surtout en fiction. D’autre part, nous savons que les producteurs et les diffuseurs regrettent que peu de gens viennent se présenter à eux. Pourquoi ne pas rapprocher ceux qui n’osent pas pousser les portes des diffuseurs, et ceux qui disent manquer de films en breton ? Quant aux producteurs, à eux de mettre de nouveaux projets sur les rails. Nous, nous faisons juste office de bazh-valan (ndlr : celui qui arrangeait les mariages en Bretagne). »

Dès 2012, le Groupe Ouest, Stumdi, Dizale et Livre et Lecture en Bretagne avaient conjointement mis en place deux sessions de formation intitulées « Auteurs en langue bretonne ». La session 2012 vit la participation de Anaïs Leroux, Angèle Jacq, Stéphane Ac’h, Klet Beyer, Kenan an Habask et Paul Madec. En 2013, on retrouvait Klet, et de nouveaux candidats : Maï Lincoln, Gweltaz Adeux, Gérard Guen, Tangi Merien, Jocelin Talarmain et Luc Terrom.

Plus largement, c’est à une réflexion approfondie sur la production en langue bretonne que tous vont concourir, réflexion entreprise depuis des années par nombre de créateurs brittophones ou de militants, mais qui ne semblait pas toujours en adéquation avec les politiques audiovisuelles…

Laurence Ansquer, de Tita productions, revient sur cette première journée de 2014. « Avec Fred Prémel, nous avions produit le film d’Avel Corre, An dianav a rog ac’hanon, sans nous poser trop de questions. Pour moi, l’important, c’est d’accompagner le mieux possible le réalisateur, quelle que soit la langue. Je fais le même travail avec une Mexicaine en ce moment. Mais puisque nous vivons en Bretagne, on peut se pencher un peu plus sur la question, non ? Alors oui, nous avons envie de participer à l’émergence d’une création en langue bretonne ! »

Les participants à ce premier pitch dating étaient une quarantaine. Les candidats devaient affronter l’ensemble des producteurs et diffuseurs réunis. Le pitch, exposé de quelques minutes, se faisait en français. Si les porteurs de projets étaient contents d’en faire l’expérience, et de s’être familiarisés avec cet exercice peu facile, en revanche, tous s’accordaient à dire que la formule pouvait être améliorée.

Erwan Moalic en prit bonne note, et l’expérience fut reconduite en octobre 2014, lors de Doc’Ouest à Pléneuf-Val-André. Le cadre était plus formel, associant à chaque fois à une table réalisateur, producteur et diffuseur. Trois porteurs de projets de documentaires en breton se prêtèrent à l’exercice : Jocelin Talarmain, Fanny Chauffin et Kristen Falc’hon. Des sujets aussi divers que la poésie bretonne, les cargos ou les réformés du service militaire y émergèrent.

Ces deux premières expériences démontrèrent que les projets n’étaient, pour la plupart, pas suffisamment aboutis en terme d’écriture. S’imposa alors l’idée d’une formation à cet exercice.

En mars et juin 2015, deux  journées de travail, intitulées Labo-Filmoù DZ, ont été mises en place, à l’initiative de Laurence Ansquer. Gérard Alle, Avel Corre et Fred Prémel (auteur, cadreur et producteur), se sont attelés à ce tutorat, sur la base du seul volontariat de chacun, et sans aide officielle, toujours avec le concours de Daoulagad Breizh. Cinq participants, dont deux avaient suivi la formation « Auteurs en langue bretonne », y prenaient part.

Gérard Alle raconte : « Il s’agissait de les aider à accoucher de l’histoire qu’ils portaient, et qu’elle se tienne, sans hélicoptère et sans deux mille figurants. Mon travail consistait à mettre à plat l’ossature de l’histoire, la psychologie des personnages, l’intention de l’auteur ; traquer les scories, les tics, les incohérences ; donner un nouveau souffle, instaurer du décalage, développer l’intensité dramatique, tout ça pour que l’auteur aille au bout de son idée. »

Août 2015, 38ème Festival de Douarnenez. Une cinquantaine d’acteurs de la filière audiovisuelle en breton se sont réunis de nouveau. Une innovation au programme : une lecture de deux scénarii en breton, par des comédiens professionnels. Le projet de Stéphane Ac’h, bien ficelé, est lu de bout en bout. Jocelin Talarmain présente une scène de son film, elle aussi en lecture. Ces deux réalisateurs ont bénéficié de l’aide de Jil Pennec, pour affiner les différents niveaux de langue des dialogues en breton, dans leurs scénarii respectifs.

Un moment vivifiant pour la langue, de l’avis de tous. « Les caractères sont bien campés, on avait des images en tête… »« Les  sentiments m’ont paru plus forts en breton… »  Le débat qui suivra reviendra encore une fois sur la place de la langue. Une opposition entre ceux qui prônent « des équipes de tournage entièrement bretonnantes, en immersion, parce que le breton reste une langue minoritaire et qu’il faut le défendre ainsi » et ceux qui pensent qu’il faut justement arrêter de se focaliser là-dessus. Du côté de futurs réalisateurs, on entend : « Le processus créatif, c’est ça qui compte ; arrêtons de toujours nous justifier sur la question de la langue. L’important, c’est que l’histoire soit bonne. » « Nous avons le désir de raconter des histoires. Par contre, c’est mieux si le réalisateur parle breton, pour bien comprendre les intentions de l’acteur. »

D’autres projets, issus du Labo Filmoù DZ, sont toujours en cours d’écriture. Découvert en 2014, le projet de Gérard Guen va être réalisé par Olivier Broudeur et produit par Carrément à l’Ouest.

La session de pitch dating de 2015 a vu cinq projets soumis à autant de diffuseurs et producteurs. Mélanie Giotto, qui présentait Adlivañ, en tandem avec Maï Lincoln, reconnaît s’être bien amusée. « Nous avions choisi de jouer, d’interpréter le personnage du film, qui improvisait des réponses à chaque nouvelle question. J’avais cru naïvement que les deux parties se connaitraient mieux à l’issue du pitch, or j’ai eu le sentiment de me dévoiler, en face de professionnels que je n’identifie pas pour autant. J’ai cependant été rassurée par la mixité de ce milieu. Par ailleurs, les échanges m’ont éclairée sur les rapports au sein de la profession, dont j’ignorais tout. Et puis, nous avons été contraintes de nous mettre au boulot pour l’occasion ! »

On peut imaginer que dans ce pays de conteurs qu’est la Bretagne, qui compte tant de bons techniciens, on arrivera bientôt, grâce à ces associations de compétences, à des histoires en breton qui tiennent le haut de l’écran !

Caroline Troin

Photo de Une : An dianav a rog ac’hanon de Avel Corre, produit par Tita.

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