Nicolas Le Gac : un nouveau héraut du doc !


 

Avec un seul cinéma associatif – Le Vulcain, à Inzinzac-Lochrist – et une programmation par semaine au Cinéville pour défendre le cinéma d’auteur, un festival de cinéma thématique – Pêcheurs du monde –, la diffusion de films en pays lorientais connaît depuis longtemps quelques zones de creux et d’effilochement : il manquait un héraut pour les porter par monts et par vaux. Depuis mars 2013, une nouvelle association a vu le jour, qui se propose de tirer quelques fils et d’enrichir très opportunément ce coin d’étoffe morbihannaise. Rencontre avec Nicolas Le Gac, le créateur de J’ai vu un documentaire.

– Vous avez créé, il y a quelques mois, « J’ai vu un documentaire », une association dédiée… au documentaire. Pouvez-vous retracer votre parcours et nous écrire quelques lignes de votre histoire avec le cinéma en général, et avec le documentaire en particulier ?

– Nicolas Le Gac : je suis originaire de Saint-Brieuc, où mon père était programmateur jeune public pour la Scène nationale. Il y avait un cinéma au Centre d’Action Culturelle, La Bobine, c’est lui qui s’en occupait. Mon père adorait Tarkovski, il m’en parlait beaucoup et, même si je n’accrochais pas du tout à l’époque, mon éducation s’est faite là, pour et contre ces films-là. Quand tu es nourri à ce type de cinéma, tu t’orientes naturellement vers les films d’auteur, tu deviens exigeant. Et je voyais beaucoup de films.
En grandissant, je me suis tourné vers le cinéma social, un peu militant, avec lequel je me sentais en affinité : Kes, de Ken Loach, m’a vraiment marqué. Je n’ai d’ailleurs jamais vraiment lâché le cinéma anglais : j’ai fait mon mémoire de maîtrise d’anglais (à Rennes) sur Ken Loach et quand je me suis inscrit en DEA cinéma à Paris VIII, j’ai choisi de travailler sur « la programmation du premier ciné-club à Londres entre 1925 et 1939 ». Le problème, c’est qu’une fois que tu as ça, tu ne peux rien en faire !
Ensuite, je suis parti à Toulouse où j’ai travaillé comme projectionniste au cinéma Utopia pendant trois ans. J’y ai passé mon CAP de projectionniste. J’ai de très bons souvenirs de cette expérience, une très bonne école. C’était vraiment le cinéma que je voulais défendre. Ils m’ont aussi appris comment parler des films.
Après ça, j’ai travaillé quelque temps dans un cinéma de quartier à Bègles, avant de rentrer en Bretagne et de rejoindre l’équipe de programmation du Festival de Douarnenez pour trois ans. J’étais chargé de toutes les actions à l’année : les partenariats avec les cinémas, les écoles, le développement de l’activité. Je faisais l’aller-retour Lorient-Douarnenez tous les jours. Il y a un an, j’ai fini par poser mes valises du côté du Morbihan!

– Qu’est ce qui a décidé du passage de la fiction vers le documentaire ?

– N.L.G. : c’est vrai qu’aujourd’hui, je vois nécessairement moins de fictions, mais j’aime toujours la veine sociale du cinéma anglais. J’aime aussi beaucoup le cinéma de Julie Bertucelli ou de Stéphane Brizé. J’ai des goûts très éclectiques. Et en matière de documentaire, j’aime aussi beaucoup de choses ; tout le travail de Frédérick Wiseman me passionne s’il faut donner un exemple. J’ai découvert le cinéma documentaire à la fac, les profs que j’avais en analyse comparée m’ont enseigné la force et l’impact extraordinaires du documentaire. Ce que je vais chercher dans le cinéma documentaire évolue ; je suis aujourd’hui beaucoup plus attentif au dispositif utilisé pour raconter une histoire. Je suis très sensible à la place laissée au spectateur : elle est très importante pour comprendre les choses à partir de soi.

– Aimer, comprendre, évoluer : c’est un peu la ligne que se propose de suivre votre association, et sans doute ce qui vous donné envie de la créer ?

– N.L.G. : à l’origine, j’avais le projet de créer un cinéma. Les salles Art & Essai, ça manque un peu par ici… J’ai donc accumulé la documentation et les études, mais c’est un projet d’une telle envergure qu’il ne peut pas se faire du jour au lendemain. Je voulais prendre le temps de mieux sentir les choses et de me faire connaître avant de m’implanter. J’ai donc choisi de commencer par un projet de terrain. Le documentaire, j’adore ça. Aucune structure ne s’en étant emparé ici, j’ai eu envie de le développer à l’échelle du territoire. J’ai vu un documentaire est née de ce désir de faire exister le documentaire dans le Pays de Lorient et de l’accompagner sous différentes formes auprès de publics variés.

– L’association a été créée en mars 2013. Quelles actions avez-vous déjà menées ?

– N.L.G. : nous projetions de commencer avec le Mois du Film Documentaire pour être visibles immédiatement, et puis en octobre, nous avons eu l’opportunité de projeter au Vulcain, Tu seras sumo, de Jill Coulon, en sa présence. C’était donc notre première. En novembre, nous avons projeté Dig ! de Ondi Timoner, au Cinéville, en partenariat avec le Festival Les IndisciplinéEs : une mise en route très rock’n roll ! La médiathèque de Lanester nous a accueillis pour les trois projections suivantes : Pierdel, de Nathalie Marcault, Mille et une traites de Jean-Jacques Rault et Mon lapin bleu, de Gérard Alle. L’association Terre de Liens était partenaire de la projection du dernier film de Jean-Jacques Rault et une agricultrice tout juste installée s’était déplacée pour présenter son projet d’élevage. La salle était presque pleine, mais pas tout à fait autant que pour  »Mon lapin bleu » : on a dû rajouter des chaises !

– Vous voulez faire prendre au documentaire des chemins de traverse?

– N.L.G. : c’est une forme de partenariat que j’aimerais beaucoup développer. Nous avons, par exemple, le projet de nous associer avec la Ferme du Cosquer (Caudan), une ancienne ferme pédagogique qui vient d’être confiée par la Ville de Lorient à un couple de jeunes paysans en agriculture biologique. Ils disposent d’une pièce qui servait aux animations avec les enfants : un grand mur blanc et une grande cheminée, le feu, le film… Ils souhaitent faire de la vente directe ; ce sera l’occasion de faire connaître leurs produits. Le ciné à la ferme, c’est exactement le genre de projets que je voudrais monter. Nous avons également commencé à travailler en direction des milieux scolaires, sous la forme d’ateliers d’éducation à l’image. Avec les classes de CM2 de Kervignac puis de Langonnet, nous avons réalisé des sortes de portraits photos sonorisés des élèves. Ils ont ainsi pu approcher la prise de son, le travail du cadre, de la lumière.

– Et quels sont les projets à venir ?

– N.L.G. : très bientôt, nous nous essaierons à une autre forme de cinéma, entre cinéma itinérant et ciné-club : le Doc à Dom. L’idée est de proposer un certain nombre de films à un particulier, le laisser porter une programmation en lui laissant le choix final, et qu’il invite une dizaine de personnes chez lui pour le regarder. C’est une belle occasion de rencontrer des gens, conviviale et originale. Je me suis inspiré d’une association grenobloise, À bientôt j’espère, qui fait tourner des documentaires expérimentaux de cette façon.
J’aimerais aussi trouver 4, 5 lieux que nous pourrions investir et garder comme des rendez-vous dans le mois ou dans l’année (médiathèques, cinémas, cafés…). J’ai parlé de la Ferme : nous espérons y caler une projection pour février ou mars. J’attends également une réponse pour un nouveau partenariat avec l’asso MAPL (1) et la projection d’un moyen-métrage sur le chanteur Matt Elliott (2). Et j’ai rencontré le directeur du Cinéville de Lorient, qui s’est montré désireux de s’ouvrir aux milieux associatifs et a accepté de nous louer une salle en nous laissant ouvrir une billetterie non-commerciale. Si ça marche, ça deviendra peut-être un vrai partenariat. Tout le monde s’y retrouverait, je pense ; il y a une réelle demande de la part du public. Pourquoi pas aussi créer un week-end de projections accompagnées, comme un petit festival sous l’égide de l’association. Maintenant que l’aventure est lancée, il va nous falloir trouver plus de financements pour la faire durer et acquérir notre propre matériel de projection : des partenariats, publics et privés, des subventions. Pour l’instant, l’essentiel est que l’association existe bel et bien, sur le terrain, au service du – plaisir –documentaire. Nous cheminons…

Propos recueillis par Gaell.B. Lerays
(1) Musiques d’Aujourd’hui en Pays de Lorient
(2) What a fuck am I doing on this battlefield, de Julien Fezans et Nico Peltier, primé à Visions du Réel, Nyons 2013.