Petit rappel historique: il y a un peu plus de 8 ans, la ville de Morlaix assistait à la disparition d’un de ses plus grands sites industriels, la Manufacture Nationale des Tabacs, gérée par la société Altadis, anciennement la Seita. Ouverte en 1740, l’usine employa jusqu’à 1700 ouvrières et ouvriers, et fut longtemps le poumon économique local. Mais dans les années 1990, les délocalisations vers des pays à la main d’œuvre peu coûteuse, ainsi que la prise de conscience grandissante de la nocivité de la cigarette, ont inexorablement et lentement conduit au déclin de cette industrie. En 2004, la grille de cet imposant bâtiment de 31000 m2, se fermait définitivement, et Altadis mettait la clef sous la porte.

Classée parmi les 10 plus importants sites patrimoniaux de Bretagne, symbole d’une période glorieuse, la « Manu » ne pouvait pas disparaître de la carte sans amputer la ville d’une partie importante de son histoire. En 2001, la Chambre de Commerce et d’Industries avait déjà racheté la totalité du site pour le préserver et obtint son classement aux Monuments Historiques. Après avoir effectué le plus gros des travaux de rénovation, la CCI commença à céder petit à petit des parties de la Manufacture, notamment à Morlaix Communauté qui s’y est installé, en entraînant d’autres structures dans l’aventure: l’IUT GACO, les Editions Skol Vreiz, le Télégramme.

Un projet innovant à forte orientation culturelle

Ce projet de reconversion de friche industrielle est à saluer pour son audace, et pour son envergure exceptionnelle à l’échelle d’une petite ville comme Morlaix, qui compte 15600 habitants. L’idée motrice est d’en faire un nouveau quartier de la ville, où se mélangeraient habitations, bureaux d’entreprises et lieux culturels et d’enseignement. Un lieu de vie, de travail, d’éducation, de promenades, un lieu chargé d’Histoire aussi. Pour la première fois, les morlaisiens et les morlaisiennes vont pouvoir s’approprier ce lieu unique, qui jusque-là leur était inaccessible.

La singularité de ce projet tient aussi dans son contenu culturel marqué par la présence de l’association SEW. Celle-ci regroupe trois structures pour occuper le même espace, situé dans la Cour des Magasins : le Cinéma La Salamandre (cinéma associatif), le Théâtre de l’Entresort et l’association WART (musique actuelles), organisatrice du Festival Panoramas. L’union faisant la force, ces trois associations culturelles se sont donc rassemblées en une seule et même association, portant le nom de SEW pour Salamandre-Entresort-Wart ( à prononcer « siou »). « Cette aventure est possible parce qu’on est trois associations. On n’aurait pas pu porter ce projet seul. Et c’est extrêmement stimulant car, bien qu’étant différentes, nos pratiques artistiques parviennent à s’agréger. Il ne s’agit pas d’une fusion mais d’un regroupement pour simplifier mais aussi renforcer la gestion du projet », estime Thiery Seguin, administrateur de la Compagnie Entresort. « Chaque association conserve son projet initial tout en portant un projet culturel commun, dont l’objectif est de construire des passerelles entre nos disciplines respectives, de brasser les publics et les générations ». Chacun apporte donc sa pierre à l’édifice, sa couture au patchwork ( Sew signifie aussi coudre en anglais). Les bureaux de ces trois associations seront sur la même plateforme, pour préserver l’esprit collectif et rendre les cloisons plus poreuses entre leurs actions.

Deux salles de cinéma de 100 et 200 places verront le jour, ainsi qu’une salle de spectacle pouvant accueillir entre 400 et 500 personnes debout, une petite salle de répétition et un bistrot, endroit incontournable pour que le public puisse s’approprier ce nouvel espace. « L’originalité de ce projet « , poursuit Thierry Seguin, » est qu’il croise le public et le privé. Nous (SEW) avons signé un bail emphytéotique de vingt ans avec Morlaix Communauté et nous supervisons les travaux, nous façonnons ce lieu, selon nos besoins, nos envies. D’habitude, ce sont plutôt les collectivités qui sont aux commandes de ce type de projet. Ici, nous construisons un lieu à l’image de ce que nous sommes, adapté à ce que nous faisons. Par exemple, nous menons une réflexion commune quant à l’aménagement du site au regard de la question de(s) handicap(s), de l’accessibilité. Cette question-là est déjà très présente dans le travail de notre compagnie que mène Madeleine Louarn ». Et Véronique L’Allain, directrice de La Salamandre, de continuer : « En 2015, toutes les salles de spectacles, de cinéma devront répondre à des normes bien précises en ce qui concerne l’accessibilité pour les publics handicapés (installation de boucles magnétiques, etc.). Et comme nous créons un lieu, autant être exemplaire ! Nous cherchons des concepts pour offrir un équipement le mieux adapté à toute sorte de handicap. Nous travaillerons la signalétique, nous essaierons d’éviter tout ce qui, pour certains types de handicap mental, peut être anxiogène comme les miroirs, les lumières criardes, etc. Nous rencontrons en ce moment des associations qui travaillent sur ces thématiques et qui peuvent nous conseiller, réfléchir avec nous. »
Au total, ce projet de lieu culturel et convivial concerne une surface de près de 2000 m2, et un coût global qui avoisine les 3,8 millions d’euro. Deux artistes sont d’ores et déjà associés à ce collectif en tant que parrains: le chorégraphe Bernardo Montet et le musicien Rodolphe Burger. « Leurs démarches artistiques collent parfaitement avec l’esprit de notre projet », précisent les membres de SEW. A savoir le décloisonnement entre les disciplines, la libre circulation entre les pratiques artistiques.



Nouvelle peau pour la Salamandre

Créé en 1981, ce cinéma associatif, dont le nom fait référence au film du cinéaste suisse Alain Tanner, siège dans un bâtiment appartenant à la mairie de Morlaix, dans le quartier de la Boissière. Il est entouré de voisins atypiques pour un cinéma art & essai : un centre Leclerc et un McDo. Doté de 150 fauteuils, labellisé « Art & essai » mais aussi « Jeune public », « Recherche » et « Patrimoine », beau palmarès qui récompense un travail audacieux et diversifié, le cinéma La Salamandre accueille chaque année près de 29 000 cinéphiles. L’équipe se compose de trois salariés, deux projectionnistes et une directrice, Véronique L’Allain, aux commandes depuis 2011. « L’installation à la Manu nous permettra de doubler le nombres de séances hebdomadaires, de garder les films plus longtemps à l’affiche et d’en programmer d’avantage, précise-t-elle. Cela fait plus de 10 ans que le cinéma cherchait à s’équiper d’une seconde salle et à se rapprocher du centre-ville pour répondre à une demande grandissante ». Le rôle du cinéma au sein de SEW est aussi indispensable car il assure une activité qui attire du public, toutes générations confondues, et une fréquentation régulière du site. Indispensable pour rendre le lieu vivant !
Les six prochains mois seront décisifs. La phase d’étude devrait se terminer aux alentours du mois de février et aboutir à une maquette définitive. L’ouverture du site, quant à elle, est prévue pour 2014/2015, mais comme le souligne Annie Loneux, chargée de la culture à Morlaix Communauté, « le temps administratif et institutionnel n’est pas celui de l’affectif ». Doucement mais sûrement ? On l’espère !

Nicolas Le Gac
Crédit photo: Hervé Ronné