La réforme du Cosip suscite des inquiétudes


La réforme du soutien à la production documentaire a été présentée lors du Fipa de Biarritz fin janvier. Très attendue par les professionnels, elle a été diversement accueillie et soulève d’ores et déjà des craintes.

Malgré l’aspect technique du dossier, la réforme du Compte de soutien à l’industrie et aux programmes audiovisuels intéressera tous ceux qui participent à la fabrication des documentaires car elle modifie notablement leur système de financement.

Parmi les points positifs : une prime à la qualité prenant en compte la notion de création qui est d’ailleurs depuis longtemps une pierre d’achoppement, tant il paraît difficile de la définir selon des critères objectifs. Le CNC s’y est essayé en établissant une grille de bonus pour « mieux accompagner les démarches les plus ambitieuses ». Désormais, la qualité de l’écriture et le potentiel de développement du projet, le temps consacré au montage, l’insertion d’une musique originale, le poids de l’équipe créative dans la masse salariale et le potentiel d’exportation du programme permettront à un film d’être mieux financé. Le CNC qualifie ces critères de « bonifications objectives réservées aux œuvres qui n’empruntent pas aux codes du magazine ou du reportage ».
Que le fonds de soutien ne bénéficie plus aux programmes de flux : c’était une demande de longue date des sociétés et associations représentant les auteurs. Relayant cette exigence de clarification, la Scam a pesé dans la négociation et apprécie les critères retenus qui « valorisent la qualité de la création ». Plus mitigée, Addoc estime que les axes proposés « ne tranchent pas cette problématique centrale ». L’Association des cinéastes documentaristes pointe des tendances inquiétantes et des éléments encore flous. Si la création d’une commission spécifique au documentaire de création – autre point de la réforme – lui semble fondamentale, Addoc réclame des précisions sur son fonctionnement et sa composition, et espère que les auteurs et réalisateurs y seront bien représentés. Par ailleurs, elle craint que le relèvement des seuils n’entraîne une concentration du secteur.
Et c’est sans doute l’aspect qui soulève le plus de craintes : le seuil annuel donnant accès au compte automatique sera relevé à partir du 1er janvier 2015. En clair, une société produisant deux documentaires de 52 minutes par an avec des antennes régionales de France 3 réussissait jusqu’à présent à générer un soutien automatique de 50 000 euros. Désormais, il lui faudra réunir 70 000 euros, c’est-à-dire produire 3 documentaires de 52 minutes, voire 4 si les films sont co-produits avec les chaînes locales. Et l’apport minimal horaire exigé du diffuseur pour déclencher ce soutien automatique passera, lui, de 9000 euros à 12 000 euros. Le CNC entend ainsi « renforcer le caractère structurant du soutien automatique ». Mais ces mesures menacent les petites structures qui sont, selon Addoc, « les forces vives et dynamiques de la production documentaire » et certains producteurs s’en alarment.

Double peine

Anne Luart fait part de son inquiétude. « Au sein de Spirale Production, j’accompagne des films d’auteurs sur lesquels les réalisateurs et moi-même nous engageons très fortement. Je crains que la réforme ne fragilise les petites structures comme la mienne. Sur le papier, c’est séduisant. Qui peut s’opposer à un meilleur financement des documentaires ? Mais pour cela, il faudra davantage de moyens et dans le contexte actuel de baisse des budgets, où allons-nous les trouver ? Il y a là une contradiction. Ces critères  »objectifs » ne sont-ils pas finalement des critères financiers ? L’argent continuera à aller à l’argent et les structures de production les mieux installées qui sont déjà dans le lit des diffuseurs seront les premières à bénéficier du nouveau système. Quant aux autres, elles vont devoir se battre pour survivre et certaines risquent de disparaître car la sélectivité va être accrue à tous les niveaux. Le relèvement du seuil donnant accès au compte automatique va provoquer un engorgement de la commission de l’aide sélective. Les producteurs et les réalisateurs vont être contraints à faire davantage de propositions et seront confrontés plus souvent à l’échec ».
Jean-François Le Corre, producteur de Vivement Lundi !, livre une appréciation en demi-teinte. Il salue la clarification de la notion de documentaire de création, y voyant une évolution fondamentale : « Ce n’est plus le seul apport du diffuseur qui permet d’espérer le meilleur soutien du COSIP, mais aussi le travail du tandem auteur/producteur et sa capacité à investir dans des fondamentaux de la création documentaire ». Mais il s’inquiète lui aussi du relèvement du seuil d’accès au compte automatique : « Cet aspect de la réforme va pénaliser les structures qui produisent le moins. Les producteurs en régions, souvent dépendants des diffuseurs locaux et des antennes régionales de France 3 dont les apports en numéraires sont limités, risquent donc d’être structurellement fragilisés ». Et quand bien même l’apport numéraire des diffuseurs augmenterait, « ce qui ne semble pas impossible à obtenir », le risque existe bel et bien « de voir le nombre de commandes baisser pour financer la hausse des investissements en numéraire. Les producteurs de documentaires en régions risquent donc de se voir infliger une « double peine » : baisse du nombre de documentaires financés par les chaînes régionales ET nécessité de produire plus afin de conserver un compte automatique ».
Si elle salue, elle aussi, la prise en compte de la notion de création « qui pourra, on peut l’espérer, avoir des effets bénéfiques sur les démarches de production/ réalisation qui prennent le temps du développement, du montage, de la composition musicale », Estelle Robin You, productrice aux Films du Balibari, redoute les effets de la réforme sur la structuration du secteur : « Je pense à ces sociétés qui commencent à produire. Les nouvelles règles du jeu vont leur rendre la tâche plus difficile. Le choix de renforcer l’existant n’est évidemment pas choquant. Nous sommes les premiers à revendiquer notre professionnalisme, mais il faut aussi permettre un renouvellement, l’arrivée de sang neuf, notamment dans les régions. Ce sera encore plus difficile d’obtenir le compte automatique ou de le conserver. Depuis des années, nous nous battons pour que les chaînes garantissent ou augmentent leurs apports. La réforme va inévitablement faire bouger les choses, mais il va falloir se battre aussi pour que le volume de films produits ne diminue pas. »
Dernier point : la nouvelle règle du jeu privilégie les documentaires historiques et scientifiques qui obtiendront un bonus supplémentaire de 20%. Le CNC entérine ainsi l’objectif du Cosip qui est de « favoriser la production d’oeuvres audiovisuelles patrimoniales » et va dans le sens d’une consommation historique très forte dans le grand public. Les chaînes font leurs choux gras de ce désir d’histoire et pulvérisent des records d’audience. Selon les chiffres du CNC, 59 documentaires historiques ont réuni plus d’un million de téléspectateurs à la télé en 2012. Ils représentent 20% de l’offre globale de documentaires d’Arte ou de France 2. La Scam avait préconisé que les aides puissent concerner de façon plus générale les films ayant recours aux archives et aux images de synthèse. Selon Nicolas Mazars, responsable juridique de l’audiovisuel, « cela aurait permis d’aider, de façon plus transversale, des films sur l’art, la culture, l’archéologie ou la science ».

Nathalie Marcault