« Pays bigouden 1962-63, d’Alfred Deval (1962/11′) »

Site internet rafraîchi, librairie numérique à plus grande capacité de stockage, web-doc, QR codes, applications et réseaux sociaux mis à contribution pour faciliter l’intérêt et l’accès aux archives filmées. La Cinémathèque de Bretagne s’offre un trentième anniversaire bien en ligne.

Dans le cadre des journées européennes du patrimoine, la Cinémathèque de Bretagne a inauguré à Brest une exposition de trente photogrammes agrandis. Toutes puisées dans le fonds des vingt-huit mille films amateurs et professionnels qu’elle abrite dans ses murs, ces images réunies sous le nom de Regard(s) ont été installées directement dans la rue et révèlent la variété des archives rassemblées en trente années d’existence. Dotées chacune d’un QR code, elles peuvent donner au badaud curieux un accès direct aux extraits de films dont elles proviennent. « C’est un rendez-vous que j’aimerais voir devenir régulier, au moins annuel », commente Cécile Petit-Vallaud, en poste depuis près d’un an à la direction de la structure chargée de collecter, de restaurer et de valoriser le patrimoine cinématographique et audio-visuel des cinq départements de la Bretagne historique. Faire connaître au plus grand nombre la variété des images d’archives passe par ce type de sensibilisation, ayant pris pied pour trois mois à deux pas des locaux brestois de la Cinémathèque de Bretagne et s’appuyant sur des outils dans l’air du temps.

Regard(s) n’est pas le seul des rendez-vous autour du trentième anniversaire à témoigner du nouvel état d’esprit qui habite la structure à la fois implantée à Brest, Rennes et Nantes. La Cinémathèque s’est également investie dans le web-doc Quand la mer monte réalisé par Margaux Dory du master pro NUMIC de l’université Rennes 2. Celui-ci retrace l’histoire des archives choisies par deux groupes rennais pour accompagner leurs propres musiques. Dans l’un, ce sont des images de vacances au bord de l’eau, en 1926 à Binic ; dans l’autre, le lancement du paquebot France à Saint-Nazaire en 1960. La diversité des vieux films fait écho aux partitions folk ou rock du moment. Pour chaque extrait, le web-doc donne aussi la parole aux musiciens pour qu’ils expliquent leurs choix. L’idée de diffuser cette matière en écho à un concert des deux groupes pourrait bien se concrétiser dans le cadre du prochain festival Travelling à Rennes ou bien à La Carène, la salle des musiques actuelles de Brest. Elle illustre cette envie profonde de perpétuer la formule d’une production régulière de ciné-concerts autour de créations de jeunes musiciens.

Baraques au Bouguen de Jean Lazennec (1961/8mm/12′)

Clip encore avec les trois minutes réalisées par Thierry Salvert pour les trente ans proprement dits. Les images des collections s’accordent à une partition de Krismenn et Alem, deux jeunes musiciens bretons révélés lors du Festival des Vieilles Charrues en 2015. Ils se produiront sur la scène des Vieilles Charrues New York, le 1er octobre 2016 à Central Park.

Dans un autre registre, la Cinémathèque de Bretagne se lance dans la fourniture d’archives pour une application destinée à la ville de Rennes afin de mieux connaître, grâce à la géolocalisation, son patrimoine. À chaque lieu retenu sont associées des images filmées sur ce qu’il était des années bien avant. Une idée qui intéresse aussi Brest en pleine quête d’un label de ville d’art et d’histoire mais qui sait particulièrement que le tissu urbain d’avant la Seconde Guerre mondiale n’est jamais simple à imaginer dans ce que les rues et les immeubles contemporains donnent à voir aujourd’hui.

La page facebook de la Cinémathèque de Bretagne permet encore d’explorer de nouvelles pistes de diffusion. Une première expérimentation, à voir ici, fonctionne sur le principe de l’éphéméride sous le titre Ça s’est passé un…. À chaque fois elle associe la date du jour à une image et à la possibilité de voir un film dont elle est extraite dans son intégralité grâce à un lien Viméo. Les télévisions Tébéo comme France 3 sont intéressées pour décliner la formule qui se poursuivra de toutes façons en 2017 grâce à un nouvel élément d’accroche, l’abécédaire. « C’est une proposition qui marche très bien à l’échelle locale et nous constatons une augmentation de nos visionnages en ligne. »  

Là encore, la Cinémathèque de Bretagne passe le cap des trente ans avec un outil à la mesure des attentes et des quatre mille films actuellement accessibles. « Nous nous sommes dotés d’une librairie numérique à grande capacité de stockage. » Le public va s’en apercevoir à partir du 1er octobre avec la mise en route du nouveau site Internet remanié. Les professionnels sont également ciblés, comme ils l’ont été à La Rochelle en juin dernier quand une équipe a repris le chemin du Sunny Side of the Doc, le principal marché international du film documentaire. La vente d’images n’est jamais régulière, mais l’année 2015 est là pour démontrer que la richesse du fonds peut intéresser à condition qu’elle soit repérée. L’effet La Glace et le CielLuc Jacquet utilise notamment quatre minutes d’images puisées dans les réserves brestoises pourrait contribuer à cette reconnaissance.

 

Ces initiatives n’effacent pas les rendez-vous plus classiques en salle de projection tout au long de l’année en Bretagne, avec toutefois une nouveauté, la publication d’un programme semestriel commun aux différents sites et réunissant la totalité des manifestations organisées. Sur ce terrain, Cécile Petit-Vallaud entend effacer le trou qui existe pour la diffusion d’images en Morbihan et dans les Côtes-d’Armor, au milieu de son territoire d’action : à Saint-Brieuc, un rapprochement avec le musée d’art et d’histoire est amorcé comme à Baud avec le Carton voyageur, conservatoire régional de la carte postale.. « Nous avons encore plein de pistes de travail à explorer et des collaborations à initier. Elles sont à la fois pédagogiques, artistiques et  thérapeutiques. » À Brest, la Cinémathèque est en lien avec le Centre national des arts de la rue, le Fourneau, pour intégrer des images d’archives dans les fauteuils que celui-ci se charge de concevoir pour l’ensemble du mobilier qui prendra place dans le futur équipement culturel du plateau des Capucins. Ailleurs, ce sont des discussions qui sont envisagées avec des établissements d’hébergement pour personnes âgés dépendantes (EHPAD) pour imaginer des cartes-mémoires avec QR codes et films adaptés pour solliciter l’intellect des résidents.

« Au pays des pêcheurs (1910) Réalisateur inconnu »

Toute à ces mutations, la Cinémathèque de Bretagne n’oublie pas l’une de ses tâches premières, la collecte de films. « Il est de plus en plus nécessaire de faire des choix. On ne peut plus tout collecter comme cela se faisait avant », explique sa directrice. « Nous avons besoin de l’avis de spécialistes, d’experts en histoire du film amateur… Il est bon de réfléchir sur ce à quoi correspond la Cinémathèque de Bretagne aujourd’hui. Sur les films que l’on conserve, que l’on traite. C’est d’autant plus vrai en ce qui concerne le film amateur qui représente pour une large moitié notre fonds. C’est une matière où l’on travaille autour de l’intime et le droit d’auteur existe aussi en ce qui concerne le film amateur. » Le regard extérieur est désormais apporté par un conseil scientifique et d’éthique qui vient appuyer le travail de l’équipe de professionnels et du conseil d’administration. On y trouve des réalisateurs comme Hubert Budor ou Catherine Bernstein, les historiens Vincent Guigueno et Tangui Perron, des spécialistes du patrimoine de l’image dont André Colleu, le fondateur et premier directeur de la Cinémathèque de Bretagne à qui une carte blanche a été offerte dans le cadre du trentième anniversaire. Leurs yeux seront utiles pour évaluer les arrivées hebdomadaires de documents pour lesquels l’institution bretonne est parfois la seule qui offre, grâce aux mille cinq cents appareils que ses murs abritent, le moyen de lire de vieilles images. Trente d’entre eux seront présentés dans le cadre du 31e Festival européen du film court de Brest comme pour confirmer ce lien essentiel que les images savent installer entre les hommes au-delà du temps et des évolutions techniques.

Christian Campion 

 

Le site de la Cinémathèque de Bretagne