Les images de l’INA en ligne, pour un réalisateur amoureux des archives, c’est comme un magasin de bonbons pour un enfant gourmand : tentant ! On peut s’y perdre des heures durant, à y farfouiller dans notre mémoire visuelle commune, à rêver à de nouveaux films. Il était annoncé depuis quelques mois que l’organisme public préparait une réforme à la baisse de ses tarifs, souvent jugés trop onéreux par les professionnels de l’image, malgré une accessibilité en ligne très satisfaisante. C’est chose faite depuis ce début d’année : avec non pas une diminution du coût à la seconde, qui reste sensiblement le même, mais un nouveau mode de calcul, plus souple et intéressant. Décryptage avec l’INA Atlantique.

L’organisme public chargé du collectage télévisé vient passer le cap du million d’heures disponibles en ligne, depuis ce mois de janvier 2013. Un trésor fantastique, unique au monde….mais quand il s’agit de passer à la calculette, les ardeurs sont freinées par le coût ! Faire un film d’archives, à moins de trouver des documents amateurs libres de droit, est souvent plus onéreux qu’un documentaire ordinaire. Ces images reviennent la plupart du temps plus cher que les images tournées par ses propres soins, à cause des coûts de conservation et de rémunération des auteurs ou de leurs ayants-droit. C’est donc peu dire que les nouveaux tarifs annoncés par l’Institut National de l’Audiovisuel étaient attendus.

« Il fallait de toute façon réformer, pour s’adapter aux nouveaux usages en ligne des films », raconte Christine Angoujard, la Déléguée INA Atlantique, basée à Rennes. « Le premier axe de cette évolution, c’est d’englober ces usages multiples dans un tarif unique : aujourd’hui, un film c’est aussi de la catch up TV (sur 7 jours), de la présence en ligne en VOD ou sur smartphone, etc. Tout cela est aujourd’hui compris dans notre tarif de base, là où avant ces usages se cumulaient. Et la philosophie, c’est de mieux faire vivre les films existants au lieu de les laisser sur une étagère. » Ainsi les extensions de droits à acquérir pour les DVD sont revus à la baisse, avec par exemple seulement 10% du tarif pivot pour un tirage de moins de 2000 exemplaires .

Quand on se penche par contre sur la nouvelle grille de tarifs, c’est d’abord la déception qui domine : les prix sont relativement identiques, et là où il y avait 3 catégories d’archives, on en retrouve 5 à partir de 2013. Comme précédemment, ce sont les informations télévisées, dites « actualités », les plus abordables. Et la catégorie précédemment intitulée « production » se divise en 2 nouvelles catégories : programmes de flux (jeux, sports, magazines non info…) un peu moins chère, et oeuvres patrimoniales (documentaires, téléfilms, séries, feuilletons, dessins animés, captations théâtrales), un peu plus coûteuse. La catégorie précédente des « variétés », très onéreuse, se divise en deux nouvelles catégories : oeuvres patrimoniales (documentaires, téléfilms, séries, feuilletons, dessins animés, captations théâtrales), et oeuvres artistiques (sketches, concerts, documentaires musicaux, vidéoclips, cirque, chorégraphies…), plus chère. Ces deux dernières catégories d’images étant calculées non plus à la minute entamée mais désormais sur 30 secondes, comme toutes les autres.

« La répartition est plus fine. Et ce qu’il faut voir, c’est surtout l’évolution du mode de calcul du minutage », précise Christine Angoujard. « Là où précédemment chaque élément d’une même catégorie était comptabilisé plein pot comme 30 secondes (ou 1 mn), même si on en prenait une seule seconde, aujourd’hui on cumule dans chaque catégorie les secondes prises. Et c’est seulement le total qui est arrondi au 30 secondes supérieures ». Ce système permet donc de payer un prix plus juste par rapport à la quantité d’images utilisées. Il va permettre de dégager l’esprit des documentalistes et réalisateurs de calculs extrêmement chinois, et les inciter à multiplier les sources d’archives différentes. Ce sera donc beaucoup plus de souplesse et de créativité au montage. A condition bien sûr de prendre les images dans la même catégorie…si vous ne comprenez rien à tout cela, ne vous inquiétez pas, c’est normal, même les professionnels sont un peu perdus parfois !

« Nous manquons un peu de recul dans la pratique de ces nouveaux tarifs, c’est pourquoi nous avons fait des simulations sur des devis récents, pour nous rendre compte de ce que cela voulait dire vraiment », précise Brigitte Cariou, de l’INA Atlantique « Ainsi pour un des films produits l’année dernière en Bretagne, et ayant utilisé de l’archive chez nous, la facture passerait de 4380 euros, ce qui a été réellement payé en 2012, à aujourd’hui 3640 euros : c’est une baisse significative, de près de 20% du prix pour une utilisation équivalente des images. Autre simulation avec un autre film, également produit en Bretagne l’année dernière : il aurait payé 5400 euros au lieu de 5600 pour les mêmes images ». La baisse est moindre, mais cela tient au fait que ce second documentaire ait utilisé la catégorie d’archives la plus chère qui soit, celle des sources documentaires musicales. Autre exemple parlant : sur le devis provisoire d’un film historique en cours de production, on passe de 16 minutes facturées à 12mn 30, pour exactement les mêmes images utilisées.

Dernier élément à prendre en compte : un système également plus souple et moins onéreux d’extension des droits, selon les zones géographiques d’exploitation. Ainsi, un film produit dans une logique purement régionale ou nationale, mais qui connaît une belle carrière à l’étranger, et qui comporte des archives, paiera un supplément de 20 à 30% du tarif pivot au titre de l’extension de droits, là où il devait payer 75% auparavant. Le producteur pourra ainsi moduler plus facilement, et pour moins cher, son engagement au fil de la vie du film. L’INA Atlantique assure que tous les films en cours de production, même ceux initiés avant 2013, bénéficieront des nouveaux tarifs s’ils leur sont plus favorables. La période de transition risquant de durer jusqu’en juin prochain.

Cette réforme s’annonce donc globalement favorable à la création de films d’archives. Et va dans le sens d’une plus grande facilité de calcul et d’usage. Même si une chose, elle, ne change pas : les oeuvres unitaires, à plus faible budget, ne bénéficient pas de prix négociés, à l’instar des gros clients de l’Institut National de l’Audiovisuel, qui peuvent eux obtenir un devis global sur une série d’émissions réurrentes, celles qui occupent l’écran chaque jour ou semaine pendant toute une saison. En archives comme pour les bonbons, le détail se paie plus cher que le vrac ! Dommage pour ce genre de films, plus fragiles et moins bien financés… Autre suggestion pour une prochaine réforme de l’opérateur public : le système de coproduction interne à l’INA, qui rend les archives encore plus abordables pour une quarantaine de films par an en France, semble encore difficile d’accès pour les productions régionales, à part quelques exceptions notables comme Hentou 70, documentaire de Kalanna en langue bretonne produit par France 3 Bretagne l’année dernière. Or les fonds régionaux sont de vraies mines d’archives, qui restent encore à explorer et à mettre en valeur…

Brigitte Chevet