Herbert Stern et Rose Valland incarnés à l’écran, entre fiction et réalité !


« L’or rouge, la bataille du sang » est diffusé ce jeudi soir sur France 3. Co-écrit par Philippe Baron et Mirabelle Fréville, ce documentaire historique est le résultat d’un travail titanesque de recherche d’archives. Il s’appuie sur un personnage fil-rouge créé par les auteurs. De son côté, la réalisatrice Brigitte Chevet a eu recours à l’animation pour son film « L’espionne aux tableaux, Rose Valland face pillage nazi ». Mirabelle Fréville et Brigitte Chevet reviennent sur ces choix d’écriture pour incarner leur personnage.

– L’un est juif-allemand, il s’appelle Herbert Stern, la seconde est Rose Valland, résistante oubliée. Qui sont vos personnages ?

Mirabelle Fréville : Herbert Stern est un médecin militaire en charge de la gestion des stocks de cet « or rouge ». À travers cet hématologue américain d’origine allemande, le film retrace l’histoire de la transfusion sanguine, durant la première moitié du XXe siècle en Europe et outre-Atlantique, dont la plus grande opération de transfusion sanguine de l’histoire : Overlord. Herbert Stern est un narrateur fictif dont nous avons écrit l’histoire à partir de trois récits biographiques de médecins juifs allemands qui ont émigré aux Etats-Unis au milieu des années trente.


Brigitte Chevet : Assistante au Musée du Jeu de Paume durant la Seconde Guerre mondiale, cette historienne d’art a documenté les spoliations artistiques nazies au péril de sa vie. Nommée Capitaine Beaux-Arts de l’Armée française, Rose Valland a sillonné l’Allemagne en ruines pour retrouver les œuvres volées, disparues pendant la guerre. Même si son personnage a été repris dans certains films américains, elle reste un personnage oublié de la résistance française. Ainsi m’est venue l’idée d’écrire le film comme une enquête. À travers des cartes et des pions à la manière du Cluedo, je tente de comprendre pourquoi cette femme est restée dans l’ombre de notre Histoire.


- Comment ces deux films incarnent-ils Herbert Stern et Rose Valland ?

Mirabelle F. : Au départ, nous ne savions pas que nous allions faire un film uniquement à base d’archives. Mais on s’est rapidement rendu compte que nous n’aurions pas d’entretiens d’historiens et que nos appels à témoins restaient infructueux. On a décidé qu’un personnage fictif devait raconter notre histoire et nous avons commencé à l’écrire. On se disait que plus il serait incarné et plus, le spectateur rentrerait dans l’histoire. Pour cela, nous avons cherché dans les fonds d’archives de films amateurs en Allemagne pour donner un côté plus personnel, plus intime à Herbert Stern. On ne le voit jamais mais des images représentent sa femme, son école, la ville où il vit. Puis nous avons eu l’idée d’enrichir le film par des extraits de films de fiction montrant des transfusions sanguines. Je ne pensais pas en trouver autant. On retrouve notamment cette scène incroyable d’une infirmière avec un bocal de sang, qu’elle lâche volontairement parce que le sang a été donné par un chauffeur de taxi noir. Cet extrait est issu du film Lost boundaries (prix du scénario à Cannes en 1949 mais inédit en France), il raconte l’histoire d’un médecin afro-américain de sang mêlé, se faisant passer pour un blanc dans la ville fictive de Keenham au New Hampshire. Au total, c’est plus d’une centaine d’heures d’archives visionnées dans différents centres d’archives en France, aux États-Unis, en Angleterre et en Allemagne.

Brigitte C. : Je parle d’une dame qui est décédée il y a 35 ans. Elle n’a laissé quasiment aucune famille. Aucun collègue l’ayant connue n’a désiré parler d’elle. Je possédais peu de photos, pas de films et je voulais son portrait. J’avais donc un problème à résoudre ! Le défi de la réalisation du film était d’incarner cette femme, malgré la pauvreté des matériaux pour la raconter, et de comprendre la relation qu’elle avait avec les personnages principaux. Au départ, j’avais envisagé de la fiction, avec une silhouette, mais non dialoguée. Mais ça ne résolvait pas tous les problèmes. Dans un deuxième temps, j’ai pensé à l’animation pour symboliser à la fois l’histoire mais aussi ma quête. En tout, deux minutes d’animation émaillent le film.


– Le réalisateur doit composer avec la documentation ou l’animation proposées par ces collaborateurs. Quel rôle le documentaliste et/ou l’animateur jouent-ils dans l’écriture du film ?

Mirabelle F. : L’Or Rouge a été un vrai travail de co-écriture avec Philippe Baron, réalisateur et moi-même documentaliste. C’est en visionnant des dizaines d’heures d’images ensemble que l’on a avancé sur l’écriture du film. Nous nous sommes vus tous les quinze jours. Je sélectionnais les archives qui me semblaient les plus pertinentes pour le récit. Peu importe leur provenance, historiques, amateurs ou de films de fiction. En fonction des images trouvées, des personnages pouvaient prendre de l’importance. C’est le cas du médecin Norman Bethune, filmé par des cinéastes américains pendant la Guerre d’Espagne. Ou du Caporal Henri Legrain, le transfusé de le Guerre de 14-18 photographié sur son lit d’hôpital avec son frère de sang. Quelquefois, une seule photo peut faire revivre un moment fort de l’histoire.

Brigitte C. : Au début, j’avais demandé à Emmanuelle Gorgiard de fabriquer des objets (tableaux, trains, etc.). Je pensais juste filmer ma main qui déplaçait les objets. Je n’osais pas imaginer que l’animation pouvait être possible dans le budget du film. C’est Emmanuelle qui m’a poussée dans ce sens.

Emmanuelle Gorgiard : J’aimais beaucoup la proposition de Brigitte et il me semblait que l’on pourrait vite se passer de sa main une fois les pions introduits dans le film. Si l’animation se substituait à sa main, les pions prendraient un statut de personnage. Et il se trouve qu’à la maison, j’ai le matériel qui permet un tournage léger. Et donc je lui ai suggéré de faire ça chez moi !


Brigitte C. : Emmanuelle m’a aidée à concevoir l’animation en réponse à ma nécessité d’images. Je lui ai expliqué ce que je voulais dans le fond et elle a trouvé la forme. C’était un travail artisanal fait dans la bonne humeur. J’avais l’impression d’avoir un outil magique. On s’est appuyé sur le graphisme de Jean-Claude Rozec et Fabien Drouet nous a aidés pour la lumière. Mon regret est de leur avoir fait faire des images que je n’ai pas gardées au montage. Le langage du documentaire et celui de l’animation sont différents. On ne fabrique pas pour jeter et je n’avais pas tout le montage en tête au moment du tournage… Cette expérience renforce mon envie de décloisonner nos savoir-faire.– A venir…

Mirabelle F. : L’or rouge, la bataille du sang est diffusé ce soir à 23h10 sur France 3 dans « Docs interdits ». Et puis, une nouvelle aventure commence pour moi. Aux États-Unis, je cherchais des archives d’un Japonais transfusé en 1945. Je suis tombée sur une bobine surprenante. Je me suis rendue compte qu’il s’agissait de films réalisés dans les hôpitaux à Nagasaki après la bombe atomique. Je n’avais jamais vu une bobine comme celle-ci. Elle avait été censurée pendant 35 ans. J’ai décidé d’en faire un court-métrage. Il s’intitule pour l’instant La Bobine 11004

Brigitte C. : L’espionne aux tableaux, Rose Valland face pillage nazi est projeté en avant-première le 5 avril au Musée des Beaux-Arts de Rennes à 15h30. Le 4 mai, il sera diffusé sur « La case de l’oncle doc » sur France 3.

Propos recueillis par Jennifer Aujame

L’Or rouge, la bataille du sang
Un film réalisé par  Philippe Baron, écrit par Mirabelle Fréville et Philippe Baron
Avec la voix de Philippe Torreton
une production Vivement Lundi !
avec la participation de France Télévisions
avec le soutien du Centre National du Cinéma et de l’image animée, de la Région Bretagne, de la Région Basse-Normandie, de la Procirep – société des producteurs – et de l’Angoa.

L’espionne aux tableaux, Rose Valland face pillage nazi
Un film de Brigitte Chevet
une production Aber Images
avec la participation de France Télévisions (France 3 Alpes et Case de l’Oncle doc)
avec le soutien du Centre National du Cinéma et de l’image animée, de la Région Bretagne, du Conseil général de l’Isère, de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, de la Fondation Carac, du ministère de la Défense, et des Anciens Combattants, de la municipalité de St Etienne de St Geoirs,  de la Procirep – société des producteurs – et de l’Angoa.