Zanzan films et Films en Bretagne ouvrent le vaste chantier de l’audio-description. Cette pratique qui permet aux non-voyants d’aller au cinéma concerne potentiellement 1 700 000 personnes.

Au 1er janvier 2015, toutes les œuvres devront être accessibles à tous les publics. La Loi sur l’égalité des chances rend notamment obligatoire la description des films à l’attention des personnes atteintes de déficiences visuelles. Une course contre la montre s’est engagée pour respecter cette échéance. Récemment à Rennes, sous l’égide de Zanzan films et de Films en Bretagne, une vingtaine de personnes ont assisté à une rencontre avec Marie Diagne, scénariste, documentariste et audio-descriptrice. Cet atelier a été conçu comme le prélude à une formation professionnelle à l’interprétation de textes audio-descriptifs destinée aux comédiens bretons.

C’est à une expérience singulière que Marie Diagne a d’abord convié les participants à cette rencontre : écouter les sons et, pour citer Claire Bartoli, auteur aveugle, « observer » les sons pour recueillir le plus grand nombre d’éléments. Car si les sons peuvent « faire image » et « donner à voir », ils peuvent également susciter des émotions ou installer une atmosphère particulière. Fermer les yeux, écouter l’extrait d’un film, tenter de percevoir l’identité des personnages, les relations qu’ils entretiennent entre eux, visualiser un décor ou le déplacement dans un lieu, imaginer des événements et peut-être même des partis pris de mise en scène.
A votre tour, d’essayer. Cliquez sur le premier extrait dans  »En savoir + ». Tenez vos paupières closes et ouvrez bien grandes vos oreilles.

Vous venez de (re)découvrir que le son permet de voir ! Depuis vingt ans qu’elle s’intéresse à la transmission du cinéma, Marie Diagne se pose toujours la même question, au moment d’audio-décrire : que peut-on restituer du projet de cinéma d’un réalisateur ? « Un film est une oeuvre, composée d’une bande d’images et d’une bande de sons. La relation des images et des sons résulte d’un travail de conception opéré par le cinéaste : montage des images et des sons, étalonnage, mixage. Lorsque l’on est aveugle, cette relation est brisée. Le travail de l’audio-descripteur est de recréer cette relation qui n’existe plus. Pour cette raison, les audio-descripteurs ne sont pas des traducteurs d’images. »

Lorsque la version audio-décrite d’un film est réussie, elle permet de réunir dans une même salle de cinéma des spectateurs aveugles ou malvoyants et des spectateurs « valides » : « Elle permet que le plaisir du cinéma puisse se vivre ensemble, que les perceptions et les sensibilités puissent se partager. Une version audio-décrite de qualité donne assez de visible pour entrer dans la sensibilité du cinéaste », précise Marie Diagne.
D’ailleurs, vous pourrez en juger par vous-même en écoutant le deuxième extrait. Cette fois, il est audio-décrit par l’écrivaine Hélène Bleskine.

Vous avez pu constater qu’il n’y a pas besoin d’être très bavard pour donner à percevoir tout l’univers du film d’un cinéaste. La tentation de la littérature serait même ennemie de l’audio-description. « Quelle que soit notre appétence pour les mots, il est préférable d’être sobre et d’alléger au maximum. C’est parfois un drôle de combat avec soi-même. Dans le cas du film de Louis Malle, ce minimalisme de l’audio-description épouse celui de la mise en scène. La même humilité est requise en matière d’interprétation. Ici, le choix d’une voix de basse, masculine, enveloppante, s’allie parfaitement à la musique de Schubert. La priorité, c’est de préserver la porosité à l’univers sonore du film, donc d’être transparent et de permettre aux non-voyants de ne jamais décrocher ». L’audio-description est calée en fonction du montage-son et du mixage, dans le respect le plus strict des choix esthétiques du réalisateur.

S’arrimer à ses émotions

Quand elle audio-décrit, Marie Diagne choisit des termes qui donnent à voir les partis pris de mise en scène du réalisateur car ils font partie intégrante du film. Sans jamais dire  »zoom’’ ou  »travelling’’, « parce que cela ferait sortir les spectateurs du dedans du film pour les emmener vers le « faire » du film », elle transmettra, par exemple, un mouvement de caméra par une expression qui le fera sentir. Commence-t-elle par écouter un film sans l’image ? « Certains audio-descripteurs le font. Pas moi. J’ai envie de sentir tout de suite la relation qui existe entre le son et l’image. Je ne dissocie donc pas les deux. A la première vision, je jette sur le papier mes impressions pour toujours rester au plus près de mes premières émotions. Cela ne veut pas dire que mon travail est emprunt d’interprétation. Cela veut dire qu’il est pétri d’un regard sensible. Et que sans l’émotion, je ne pourrais saisir le projet de cinéma d’un réalisateur. Donc je ne pourrais pas en rendre compte ».

Le film balisé par un time-code et le scénario : voilà les seuls éléments dont Marie dispose pour commencer à travailler. Elle établit une première version qu’elle fait valider par un partenaire non-voyant. « Il est absolument inconcevable de ne pas faire relire l’audio-description par un réel collaborateur non-voyant choisi pour ses compétences en langue – si possible un auteur – et son exigence cinéphilique. Le collaborateur non-voyant reprend les termes trop compliqués, les mauvaises successions de phrases, le trop plein du texte, etc. ». Ensuite, dans la mesure du possible, le réalisateur relit le texte et l’annote pour l’auteur-audio-descripteur qui propose une version définitive. La voix-interprète est choisie, puis enregistrée et montée (il arrive qu’il y ait deux voix) en respectant les calages indiqués par l’audio-descripteur. Enfin, on harmonise la voix par rapport aux sons du film. « Elle ne doit pas être au-dessus pour devenir le « narrateur » du film, ni nécessiter un effort d’audition. Elle doit se glisser, imperceptible, dans le maillage d’une bande-son déjà conçue », explique Marie.

L’effet d’aubaine créé par la loi a produit quelques dérives. Sur ce marché, sont entrés des laboratoires et des télévisions qui cassent les prix. Fabriquer la version audio-décrite d’un film coûte de 7000 à 8000 euros entre le salaire de l’auteur, une moyenne de 2000 euros nets pour un long métrage de 90 minutes, ceux du non-voyant, du comédien et de l’ingénieur du son, la location du studio d’enregistrement et les finitions. « Certains labos doivent réduire leur budget parce qu’ils sont confrontés aux lois du marché et de la concurrence. Ils réduisent les délais d’écriture et les primes de commandes des audio-descripteurs. Ils demandent à l’audio-descripteur d’interpréter le texte. Pire, ils se passent volontiers de la prestation du collaborateur non-voyant. Ils passent leur commande à des personnes non compétentes qui ne défendent pas l’exigence d’une profession qui n’est pas véritablement reconnue. L’économie de l’audio-description est en train de se fragiliser. Il faut veiller au respect indéfectible des œuvres et cela a un coût incompressible ». On peut faire confiance à Marie Diagne pour mener ce combat jusqu’au bout.

Nathalie Marcault
Photo de Marie Diagne (copyright Pierre Payan)

Extrait 1 : Au revoir les enfants (sons seuls)
Un film réalisé par Louis Malle, 1987
Production : productions MK2, Nouvelles Editions de Films, Stella Films et NEF Filmproduktion.
Distribution France : MK2

Extrait 2 : Au revoir les enfants (version audio-décrite)
Un texte écrit par Hélène Bleskine, en collaboration avec Claire Bartoli.
Enregistrement, montage et mixage : TVS – TITRA FILMS.