« À perte de vue », c’est le titre d’une chanson devenu le nom d’une société de production. Colette Quesson aime Bashung, et le cinéma. Après avoir longtemps participé à inventer des moyens d’accompagner, de financer et de diffuser la création cinématographique et audiovisuelle dans les différents postes qu’elle a occupés au cours de sa carrière, c’est aujourd’hui dans la production qu’elle s’épanouit. Portrait en-chanté, à l’occasion de la sortie du film de Vincent Lapize, « Le Dernier continent », qu’elle a co-produit.

 

Colette Quesson se présente en musicienne, pour aussitôt donner le la d’une carrière orientée vers le cinéma : « Je me suis aperçue que la musique, ce n’était pas pour moi. Mais c’est tout de même par le son que je suis arrivée au cinéma. À 17 ans, je voulais être ingénieur du son. Deux ans plus tard, en intégrant la nouvelle classe prépa Ciné Sup à Nantes, j’ai compris que le plus proche de la musique, c’était le montage, cette notion de rythme si consubstantielle au film. » Madame rêve alors de devenir monteuse, mais chassez le naturel… Dans son groupe de travail, c’est elle la productrice, qui coordonne, obtient les financements pour les films des uns et des autres. Ce sont ses premiers pas dans la production, que d’autres opportunités lui feront mettre entre parenthèses, mais qu’elle n’oubliera pas.

Alors qu’elle suit des cours à Paris 3, section cinéma – « sans passion » précise-t-elle –, elle travaille en tant que stagiaire pour le Festival Premiers Plans, pour assez vite devenir l’assistante du directeur, et passer dans la foulée coordinatrice générale. Elle a alors une vingtaine d’années, seulement. « Je suis restée 7 ans à Premiers Plans, durant lesquels j’ai appris mon métier et rencontré énormément de gens. Il y avait beaucoup de choses à construire, c’était passionnant. » En parallèle à cette activité de coordinatrice à mi-temps, elle devient la première salariée d’Europa Cinemas, ce réseau de salles européennes né en 1992 sous l’impulsion de Claude-Éric Poiroux. Là aussi elle participe à construire et à inventer, à développer le réseau, à porter le cinéma produit en Europe et favoriser les échanges entre les exploitants. « La salle de cinéma, c’est là où il se passe des choses, où l’on transmet. Je pense que si je n’avais pas été productrice, j’aurais peut-être été exploitante. Ces gens-là sont des médiateurs, auxquels le public fait confiance. Ils ont un rôle essentiel. »

Sept ans, un cycle. Et c’est dans le cadre du festival, à l’occasion de la lecture du scénario d’Erick Zonca par Dominique Blanc, La Vie rêvée des anges, que l’opportunité de changer de route se présente à elle, qui la saisit : « Erick m’a demandé si je voulais faire autre chose, et je me suis surprise à lui dire oui ! Un an plus tard, je quittais le festival pour rejoindre l’APCVL – Centre-Images qui cherchait quelqu’un pour mettre en place un fonds d’aide au développement et à la production des 1ers et 2èmes longs métrages. » Nous sommes en 1997, et comme avec Europa Cinemas, l’aventure est celle de pionniers : « Peu de régions aidaient alors à l’écriture, ça a été un gros appel d’air ! (…) Après avoir établi les règlements de fonds d’aide, il fallait aussi veiller à accompagner en diffusion les œuvres sur le territoire. J’ai passé beaucoup de temps à expliquer les professionnels aux élus et vice versa. C’est intéressant de parler de la situation des régions aujourd’hui, avec la réforme territoriale, la phase décisive sur la question des chaînes locales et régionales, les élections régionales à venir, autant d’enjeux autour du développement cinématographique et audiovisuel des territoires. Depuis plus de 20 ans, nombre de politiques y ont été inventées pour décentraliser le mieux possible, mettre en place des règlements pour aider les meilleurs projets, des projets de création. Ces débats ont encore cours : quels longs métrages une Région doit-elle aider ? Les productions qui sont susceptibles d’engager plus de techniciens locaux, ou des films plus fragiles économiquement, qui prennent des risques artistiques en dehors des « attentes » des diffuseurs ? C’est compliqué. J’ai aussi pris conscience à ce moment-là de l’extrême centralisme de ce métier. J’arrivais de Paris et dans les marchés professionnels, je suis devenue Mme Région Centre, à qui on expliquait le métier avec une certaine condescendance. Je le ressens encore en tant que productrice : ce centralisme est puissant et assez ridicule ! »

Après 14 années de bons et loyaux services à lire, apprécier des centaines de dossiers au rythme des commissions d’aides, Colette désire suivre moins de films et de plus près. Elle profite d’un nouveau départ en Bretagne pour s’engager dans la production. « Pendant toutes ces années, j’ai eu un poste d’observation incroyable sur le travail de production. J’ai dû lire plus de 4000 scénarios ! Je ne devrais pas dire ça, mais j’aime les producteurs ! » Elle retrouve l’impulsion de ses 20 ans et, en 2011, crée À Gauche en Montant, en co-gérance avec Yann Legay, qui déplace alors son studio AGM Factory à Rennes. Mais le studio de ce dernier prend une telle ampleur que Yann Legay quitte la structure de production en 2014. La société poursuit sa route avec une seule gérante et un nouveau nom, A Perte de Vue.

Un nom comme un élan pour « ouvrir grand, voir loin ». Colette répond sans hésiter que cette chanson de Bashung l’émeut beaucoup, qu’elle évoque pour elle « ce qu’on a envie de faire bouger chez les autres quand on fait des films ». Ce qui la décide à s’engager sur un projet tient de l’élégant mystère d’affinités insondables : « Evidemment  je vais dire comme les autres qu’il y a un sujet qui m’intéresse, de la curiosité, de la surprise, et que la rencontre avec le réalisateur est décisive. Mais ce n’est pas ce qui me pousse à me lancer : j’écoute ce qui bouge en moi, sans chercher à comprendre. » Inexplicable alchimie qui rejoint ce qu’elle nous dit des qualités pour elle requises pour être un bon producteur : « D’abord le courage, c’est vraiment la qualité principale ! Ce qu’il faut aussi, c’est du désir pour le film ; sans ce désir, rien n’est possible. Et bien sûr, il faut beaucoup de rigueur, et beaucoup de folie aussi… » Elle ajoute : « Ce qui est particulier à ce métier, c’est le spectre de compétences qu’il engage, qui comprend l’artistique, la finance, la gestion, le juridique, les ressources humaines, la capacité à promouvoir, diffuser, animer des réseaux, à être tête chercheuse de projets et de gens… On ne peut pas être bon sur tout, et il faut savoir bien s’entourer. »

Aujourd’hui, Colette est une « jeune vieille productrice » indépendante et travaille avec une assistante, Inès Lumeau. En tant que débutante – aguerrie ! –, elle dit la confiance qu’elle a dans les techniciens qui accompagnent le film. Aujourd’hui, « À Perte de Vue » est le lieu de ses aspirations, une entreprise qui semble autant la porter qu’elle porte l’émergence et l’accompagnement d’auteurs. Si son catalogue ne comprend encore que 3 courts-métrages et 4 longs – dont Le Dernier continent, de Vincent Lapize, qui commence tout juste sa tournée d’avant-premières –, pas moins de 8 films sont en développement. Une question centrale pour la productrice : « Il faut trouver le bon équilibre pour ne pas mettre la société en danger et les films en précarité. Il faut aussi s’adapter aux rythmes de chacun, savoir conserver intactes les énergies dans le temps. J’essaie de toujours agir dans l’intérêt du film. Je ne suis pas encore sûre d’avoir trouvé le bon équilibre, artistique et financier. Ce qui me plaît encore et toujours, c’est qu’il faut inventer sans cesse. »

Dans les films qu’elle produit, il est beaucoup question d’art, d’engagement et de politique, d’énergies et de renouveau. Cela fait-il d’elle une idéaliste ? « Je suis une utopiste, probablement. Pas trop, j’espère. »

Gaell B. Lerays

 

Colette Quesson s’engage avec cœur sur les projets qu’elle choisit de produire. Les films qu’elle accompagne font état de son intérêt pour « la création, le collectif ». Le Dernier continent en est une belle illustration : revendiqué par son réalisateur, Vincent Lapize, comme étant une « vision subjective de la ZAD  – Zone à défendre – de Notre-Dame-des-Landes et de ses habitants », le film dresse le portrait d’une communauté perméable et mouvante et prend acte, depuis ses premiers frémissements, d’un collectif qui se forme autour d’un événement, d’une conscience neuve qu’il faut bien appeler politique, et qui dépasse ce qu’il commence par dénoncer, ne s’interrompant pas à une militance circonstanciée.

Les membres du comité de lecture des Pays de la Loire qui devaient donner un avis pour un soutien au développement de ce projet ne s’y seront pas trompés, qui avaient émis en 2013 un avis favorable à l’unanimité. « Mais la Région Pays de la Loire, qui participe au financement du projet d’aéroport, n’a jamais donné suite à la demande d’aide, sans doute parce que le film choisissait un tournage du point de vue des zadistes. Le comité d’experts avait alors démissionné. La Région Bretagne a participé ensuite au financement du projet. »

À Perte de Vue a rejoint le projet en juin 2013, quand le film était encore en développement. « Je connaissais Romain Lardot de Réel Factory, coproducteur du film, et nous avions le désir de travailler ensemble. J’aime le partage que suppose la coproduction, même si ça peut être compliqué. Dans ce cas, tout s’est bien passé, avec beaucoup de complémentarité, d’échanges et de confiance. Le film est au final très proche de son écriture initiale, ce qui est un peu étonnant après deux années de tournage, 60 heures de rushes, 20 heures d’entretiens sonores. Et aussi un parcours de réalisation et de production qui devait faire avec une perpétuelle incertitude sur l’avenir de la zone… », raconte Colette Quesson.

« Le film a été monté à Mellionnec par Marie-Pomme Carteret dont l’expérience et l’engagement ont été déterminants. La post-production sonore a été assurée à Carhaix par Frédéric Hamelin, qui était aussi l’un des membres démissionnaires de la commission des Pays de la Loire. Toute l’équipe de coproduction s’est ensuite attelée à l’animation d’une campagne de crowdfunding sur la plateforme Ulule. La collecte récemment aboutie va nous permettre de financer le matériel pour la sortie du film.

Soutenu par quatre télévisions locales (TVR, Tébéo, TébéSud et Télénantes) qui ont diffusé au mois de mars la version de 52’ intitulée La Zone À Défendre, version raccourcie « avec intelligence » par Grégory Nieuviarts, le film sera projeté dans quelques festivals avant d’être distribué dans les salles à partir d’octobre… par les producteurs eux-mêmes. Il sera proposé en sous-titrage pour sourd et malentendants.

Trois avant-premières ont eu lieu cette semaine qui « ont reçu un très bon accueil ». « 120 personnes sont venues voir le film au Ciné Manivel de Redon, zone où le public est très sensible à la question de la construction de l’aéroport. 165 spectateurs étaient présents à Poitiers, dans le cadre du Festival Raisons d’agir, où le débat a fait l’objet de réactions très pointues de la part de sociologues. Et il y a aussi eu une projection géniale à l’Université populaire du Haut-Fay à Héric, un lieu qui jouxte la ZAD. Ce qui a été très important ces jours-ci, c’est d’avoir pu montrer le film aux opposants de la ZAD, et de comprendre qu’ils accueillaient la vision de Vincent Lapize ! »

G.B.L