Créée à l’été 2003, peu de temps avant la grève qui avait notamment entraîné l’annulation du festival d’Avignon, la Coordination des intermittents et précaires d’Ile-de-France défend, depuis 10 ans, les droits sociaux des salariés les plus fragiles et des chômeurs. Alors que les négociations sur la nouvelle convention Unédic devraient débuter à la rentrée, voici l’occasion de mettre en lumière le remarquable travail effectué par la CIP-IDF. Rencontre avec le comédien Samuel Churin, l’un de ses porte-voix.

– Vous revenez du festival d’Avignon où vous avez rencontré Michel Sapin, le ministre du Travail, et Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture, aux côtés d’organisations syndicales et patronales du spectacle vivant. Que leur avez-vous demandé ?

– Samuel Churin : nous demandons au gouvernement de soutenir le retour aux 507 heures sur douze mois qui permettaient l’ouverture de droits avant la réforme de 2003. Rappelons que cette mesure a été défendue en 2004 par les socialistes, les communistes, les verts et quelques élus de droite. François Hollande, alors premier secrétaire du PS, soutenait cette proposition. Mais, aujourd’hui, alors qu’ils sont au pouvoir, les socialistes bottent en touche et s’en remettent aux négociations entre les partenaires sociaux. Sur d’autres sujets, le gouvernement n’hésite pourtant pas à faire connaître ses priorités et à encadrer les discussions entre patrons et salariés. Mais quand il s’agit de l’assurance-chômage, rien ! On laisse faire. Or, sur la question de l’intermittence, on sait que le dialogue social est une vraie tartufferie car le tour de table est constitué de syndicats d’employeurs qui ne sont pas représentatifs de nos métiers : le Medef, l’UPA (1) et la CGPME (2). Et côté salariés, sur cinq syndicats, à savoir la CFDT, la CFTC, la CGC, la CGT et FO, seuls les deux derniers défendent nos propositions. Les deux ministres défendent le maintien de notre régime spécifique d’assurance-chômage, mais, à nos yeux, cela ne suffit pas. Nous souhaitons qu’ils s’engagent en fléchant les futures négociations.

– Quels leviers pouvez-vous actionner ?

– S.C. : le comité de suivi a été remis en place. Il avait été créé en 2003 et réunissait, outre la CIP-IDF, des syndicats comme le Syndéac (3), le Synavi (4), la CGT-Spectacle, Sud-Spectacle, la Société des Réalisateurs de Films, mais aussi des associations professionnelles et des politiques de tous bords. Aujourd’hui, certains des parlementaires qui étaient à nos côtés comme l’UMP Etienne Pinte ou le communiste Jack Ralite ne sont plus élus. Nous travaillons donc à convaincre d’autres hommes politiques. L’écologiste Noël Mamère et le communiste Pierre Laurent nous ont déjà rejoints. Nous avons lancé un appel auprès de parlementaires du PS, de l’UMP et de l’UDI. Nous avons besoin de personnalités offensives capables de faire pression sur le gouvernement et de le faire sortir du bois. Nous demandons aux politiques de se positionner. S’ils ne le font pas sur une question aussi importante que l’assurance-chômage, à quoi servent-ils ?
Par ailleurs, le Syndéac a confié au sociologue Mathieu Grégoire une étude qui chiffrera les différentes propositions, celles de la CIP-IDF, de la CGT et du Syndéac notamment qui sont d’ores et déjà connues. Et s’il s’avère, chiffres à l’appui, que le retour à la date-anniversaire ne crée pas de surcoût, rien sur le plan comptable n’empêcherait donc qu’elle soit rétablie.

– Quelles sont les propositions de la CIP-IDF ?

– S.C. : tout d’abord ce retour à la date-anniversaire. Jusqu’en 2003, pour s’ouvrir des droits, les intermittents devaient avoir travaillé au moins 507 heures sur 12 mois et l’indemnisation courait sur cette même période. Depuis la réforme, les techniciens doivent réaliser 507 heures en 10 mois et les artistes en 10, 5 mois. Ils acquièrent des droits non pas pour une période, mais pour un montant de 243 jours d’indemnités. La date-anniversaire, fixe, permettait à chacun de savoir où il en était. Aujourd’hui, la période, glissante, crée beaucoup d’insécurité. Nous sommes passés d’un système mutualiste à un système assurantiel. Il s’agit d’un basculement idéologique. Aujourd’hui, à partir du moment où vous êtes éligibles, vous avez l’assurance de toucher un pactole de 243 jours d’indemnités, quel que soit votre salaire. Ce qui avantage ceux qui travaillent beaucoup et gagnent le plus d’argent. Ce sont les exclus du régime qui financent les assedics de luxe versés aux salariés à hauts revenus.
Nous demandons aussi la mise en place d’un plafond de cumul salaires-indemnités et le rétablissement de la franchise qui existait auparavant. C’est un garde-fou indispensable pour éviter que les hauts salaires puissent percevoir des indemnités et pour permettre une répartition plus juste des allocations. Nous militons également pour la création d’une annexe unique. L’existence de deux annexes qui instaure une division entre techniciens et artistes pourrait entraîner à terme la suppression de l’annexe 8 au profit d’une caisse professionnelle ne concernant que les artistes. C’est en tout cas une dérive possible.

– Quel est le calendrier des négociations ?

– S.C. : on ne le connaît pas de façon précise. D’habitude, les négociations commencent par le régime général, puis les partenaires sociaux examinent les différentes annexes, celles des intermittents étant en général discutées en dernier. Normalement, la nouvelle convention devrait voir le jour fin 2013. Suivra l’agrément ministériel qui permettra de la mettre en application. Mais les négociations peuvent traîner et être prolongées si les partenaires sociaux ne parviennent pas se mettre d’accord.

– La CIP-IDF va donc essayer de peser dans le débat via le comité de suivi, mais elle mène aussi des actions tout au long de l’année…

– S.C. : la Coordination est vraiment née du mouvement de 2003. Médiatiquement, nous nous sommes fait connaître, cette année-là, à travers nos interruptions du journal de 20 heures de France 2 et de la Star Academy sur TF1. Mais nous travaillons aussi et surtout sur le terrain des propositions et du conseil, via une permanence CAP (Conséquences d’Applications du Protocole, ndlr) ouverte à tous les intermittents qui ont besoin d’être informés et/ou défendus (5). Les bénévoles de la CIP-IDF qui tiennent cette permanence sont devenus des spécialistes des annexes 8 et 10, à tel point que Pôle Emploi leur adresse très régulièrement des intermittents ! Mais notre champ d’action ne se limite pas aux intermittents, il s’étend à tous les précaires. Nous tenons aussi une permanence sur le RSA.

Propos recueillis par Nathalie Marcault
Photo : Samuel Churin, l’un des porte-voix de la CIP-IDF

(1) UPA : Union Professionnelle Artisanale
(2) CGPME : Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises
(3) Syndéac : Syndicat des entreprises artistiques et culturelles
(4) Synavi : Syndicat national des arts vivants
(5) Sur le site de la CIP-IDF (voir le lien ci-contre), le manuel CAP à télécharger est un outil très utile pour connaître les nouvelles règles d’indemnisation. Il est remis à jour régulièrement. Et dans  »En savoir + », voir les ciné-tracts de la CIP-IDF : Ripostes 1, 2 et 3.