Le cinéma buissonnier de Sonia Larue


Achevé depuis peu, « Du grain à moudre », le troisième film de Sonia Larue, commence à tracer son bonhomme de chemin dans les festivals. Projeté récemment au « Festival des Seconds Rôles du cinéma » et à « Courts en Betton », il sera bientôt montré au « Film Court en plein air » de Grenoble. Installée en Bretagne depuis 2004, l’ancienne assistante à la mise en scène partage désormais son temps entre le casting et la réalisation. Son « amour immodéré pour le cinéma » a trouvé lui aussi du grain à moudre en 20 ans d’un parcours qui a osé prendre des chemins de traverse.

Comme pour ses deux précédents courts métrages, Rosalie s’en va (2007) et L’enfant Do (2010), Sonia Larue a choisi de faire de la Bretagne le décor de son dernier opus, un moyen métrage de 43 minutes. Et elle a fait appel, en grande partie, « à la même équipe parce que ce sont des gens formidables avec lesquels j’ai l’impression de grandir, certains grandissant plus vite que moi, d’ailleurs ! ». Quand elle a quitté, il y a dix ans, le 9ème arrondissement parisien où elle commençait à « tourner en rond » pour l’horizon dégagé de Doëlan, elle en a profité pour faire prendre à sa carrière un nouveau tour. Elle a alors abandonné l’assistanat de mise en scène pour la direction de casting et a mis en chantier son premier film.

À cette époque, Sonia Larue venait de croiser la route de Tony Gatlif qui n’est pas étranger à ce virage. « J’ai été sa première assistante sur Transylvania. Ce fut une révélation ! Il ne suivait aucune règle, aucun code et mettait beaucoup d’énergie à casser la routine, à déstabiliser l’équipe et les comédiens. Cela a été une expérience intense à vivre. À partir de ce moment-là, j’ai pu envisager de réaliser des films et je me suis sentie autorisée à faire autrement. J’ai mis beaucoup de temps à comprendre que je n’aimais pas la lourdeur du cinéma riche. »

Ce cinéma-là, Sonia l’a abordé en autodidacte. Originaire de Saint-Denis, issue de parents profs, de grands-parents ouvriers et communistes, elle s’est jetée dans des études commerciales puis de communication, – « sans doute bêtement pour prendre le contre-pied de ma famille » – et avoue « s’en être mordu les doigts ». « C’est pourtant bien en prépa HEC dans un grand lycée parisien des quartiers chics que j’ai découvert ce que signifie « classe sociale » ». Fort heureusement, un stage de fin de cursus chez Téléma Productions lui permet de prendre pied sur le plateau de tournage d’une publicité. De 1991 à 2004, elle va se former, passant de la régie à l’assistanat de mise en scène, en une centaine de films publicitaires (de Etienne Chatillez à Jacques Audiard ou Wim Wenders) et plusieurs longs métrages (1). Elle découvre qu’elle est faite pour le plateau, mais s’ennuie assez vite comme assistante sur les tournages.

« Longtemps, le travail de première assistante m’a stressée, parce qu’il faut anticiper les problèmes sans avoir la main sur les réponses à apporter pour les résoudre. Quand je réalise un film, je me sens plus libre de mes choix, et par là-même plus apaisée. » Mais quand elle compare ses conditions de travail de l’époque à celles qui existent aujourd’hui, Sonia Larue apprécie d’avoir pu faire ses gammes : « Je faisais aussi bien des repérages que des plans de travail ou du casting. Les postes étaient moins segmentés. On faisait tout. Mais on avait davantage de temps de préparation. J’ai été payée pendant cinq mois comme stagiaire pour préparer Le tronc, un long métrage de Karl Zéro ! Les films considérés comme fauchés à l’époque étaient plus riches qu’aujourd’hui. Petit à petit, les conditions se sont dégradées. On s’est mis à accepter de ne plus être rémunérés pour les heures de nuit et ainsi de suite. Quand les productions ont commencé à demander aux premiers assistants d’assumer sur le plateau des plans de travail infaisables, j’ai arrêté. »

En arrivant en Bretagne avec son compagnon, le musicien et compositeur Eric Thomas (2) et leurs deux enfants, Sonia s’est sentie chez elle. « J’aime le mélange de mer et de campagne, le rythme de la vie d’ici. Je n’arrive pas à écrire en ville, je suis distraite par trop de choses, je me disperse, alors que la simplicité de la vie rurale m’aide à me concentrer. » Elle découvre avec bonheur le festival de Douarnenez où « l’on partage autour de thématiques politiques et où l’on considère les films comme un moyen pour créer du lien et non comme une marchandise ». Elle fait connaissance avec les gens de cinéma dans la région et choisit Julie Henry pour camper le personnage de Rosalie après avoir aperçu « ses deux grandes billes bleues » dans un court métrage. Elle apprend à aimer Lorient, sa lumière, ses lignes architecturales, et sa mélancolie qui sied bien à l’atmosphère de L’enfant Do.

Elle se met au casting et distribue des rôles pour des films tournés en Bretagne comme 17 filles de Delphine et Muriel Coulin, Elle s’en va d’Emmanuelle Bercot, Mémoire Vive de Pascale Breton ou Cornouaille d’Anne Le Ny. « J’aime le casting. Je suis proche du texte. Je dois me questionner sur le sens de la scène et travailler sur la justesse de l’interprétation. » Et ce qui plait encore davantage à Sonia, ce sont les castings sauvages qui sont « très riches en rencontres ». C’est elle qui a déniché le vieux paysan qui roule une cigarette à Catherine Deneuve dans Elle s’en va : « J’ai écumé les tabacs en demandant qui roulait encore ses clopes ! »

En 20 ans, Sonia s’est taillé une place à la mesure de son appétit de cinéma et de ses talents professionnels. Sa dernière aventure cinématographique l’a rendue heureuse. Du grain à moudre a été écrit pour Thomas Suire, repéré dans Pas de repos pour les braves d’Alain Giraudie. « Il a au naturel ce côté Buster Keaton, une charge comique forte et décalée. Pour le Grain, j’avais dans l’idée de déplacer chacun de sa sphère présumée. Face à Thomas, j’ai volontairement choisi des comédiennes issues de la scène théâtrale, comme Anne Benoît ou Marie Nicolle, plus centrées sur le sens global du texte que sur leur personnage. Liliane Rovère, que je croisais dans mon quartier quand j’habitais encore à Paris, est la femme citadine par excellence. Cela m’amusait de la projeter dans un univers rural, tout en gardant d’elle sa sophistication d’artiste bohème.

Ce mélange des genres, je l’ai voulu à tous les niveaux du film : sa narration d’abord, puisqu’elle traverse le comique et le drame familial en tentant de ne pas s’y arrêter ; sa fabrication ensuite, en mélangeant dans l’équipe Bretons et Parisiens, familiers et nouveaux venus. Du mélange naît la richesse. Avec Eric Thomas, qui a composé la musique, nous avons gardé le même principe, en rassemblant trois musiciens (en plus d’Eric) issus d’univers musicaux différents. Le tout enregistré « en live », exactement comme nous avons tourné les scènes dans la cuisine : garder au premier plan l’énergie du groupe, comme celle qui circule à table entre les quatre comédiens. »

La réalisatrice écrit ses scénarii seule. Elle s’est formée à la structure dramaturgique en autodidacte mais aussi grâce à son travail de première assistante. « Les plans de travail m’ont permis d’appréhender l’écriture de scénario. On passe beaucoup de temps à les lire et à les relire et on finit par bien comprendre la construction. » Aujourd’hui, Sonia s’achemine vers le long métrage, prochaine étape de son travail de réalisatrice. Elle pense avoir la capacité « à épouser ce rythme » et a déjà en tête une histoire autour des paternités imposées. Jusqu’à présent, tous ses films mettent en scène la cellule familiale, « sorte de lieu d’observation de la société », mais les pères en sont absents. C’est à cette figure que la réalisatrice veut désormais « s’atteler ».

Nathalie Marcault

« Infos complémentaires »

(1) Cinq longs métrages en tant que première assistante : Transylvania de Tony GATLIF ( 2006 ), L’annulaire de Diane BERTRAND (2004), Filles uniques de Pierre JOLIVET (2002), Je t’aime, je t’adore de Bruno BONTZOLAKIS (2002), Le Frère du guerrier de Pierre JOLIVET (2001)

(2) Etienne Grass, chanteur et guitariste d’Electrik Bazar, Nicolas Courret batteur, entre autres, de Laetitia Sheriff et d’Eiffel, et Sébastien Boisseau, contrebassiste de la scène jazz, du duo Wood notamment. Un Vinyle de la BO (+ téléchargement inclus) est disponible à la vente sur le lien du film : http://dugrainamoudrelefilm.wordpress.com/

Du grain à moudre, court-métrage de 43 minutes de Sonia Larue. Une production Carlito, en coproduction avec TVR 35 Bretagne, TébéO, TébéSud. Avec le soutien du CNC, de la Région Bretagne, du département du Finistère, de l’Adami et de la Procirep-Angoa.

Les films précédents de Sonia Larue sont visibles dans l’intégralité sur les liens suivants :

Rosalie s’en va, produit par Paris-Brest Productions et Noroit Productions : http://www.youtube.com/watch?v=nBSxqpaDmag
L’enfant Do, produit par Paris-Brest Productions : http://www.youtube.com/watch?v=STfHz6_Uw-E&feature=youtu.be