Bras de fer


La convention de l’assurance chômage est en cours de renégociation. A la fin mars, les partenaires sociaux devront avoir établi les nouvelles règles d’indemnisation des demandeurs d’emploi. Les intermittents du spectacle sont une nouvelle fois sur le devant de la scène après la charge lourde du Medef contre leur régime spécifique.

La riposte ne s’est pas fait attendre. Le 21 février, des professionnels du spectacle ont occupé le siège du Medef. Quelques jours auparavant, le 13 février, au lendemain de l’annonce tonitruante du syndicat patronal demandant la suppression des annexes 8 et 10, des intermittents ont occupé le ministère de la Culture à l’appel de la CGT Spectacle, du Syndeac (1) et de la CIP-IDF (2). Ils ont demandé à Aurélie Filippetti et à Michel Sapin, le ministre du Travail, de ne pas agréer la future convention au cas où elle acterait cette proposition du Medef. Sous couvert de « rétablir l’équité entre les demandeurs d’emploi », le syndicat des patrons veut aligner le régime des intermittents sur le régime général. Il demande à l’Etat « de prendre en charge, s’il considère qu’il relève de l’intérêt général de mieux indemniser les demandeurs d’emploi affiliés aux annexes 8 et 10 que ceux des autres secteurs, le surcoût de ce traitement plus favorable ». La ministre de la Culture a assuré que « le gouvernement ne reprend nullement à son compte les propositions du Medef concernant la suppression du régime d’assurance chômage des intermittents », ajoutant : « C’est même de la provocation. »

Mais le comité de suivi (3) voudrait que le gouvernement s’engage véritablement – au delà des déclarations d’intentions – en soutenant ses propositions. Créé en 2003 et réactivé l’été dernier, ce groupe constitué de syndicats, d’associations et de parlementaires a présenté des solutions alternatives, rappelant au passage que « le président de la République et le Premier ministre les avaient soutenues, lorsqu’ils étaient députés ».  Le comité demande, en premier lieu, le retour de la date-anniversaire fixe avec une ouverture de droits conditionnée par un seuil de 507 heures sur 12 mois et une indemnisation sur cette même période, ainsi que le plafonnement du cumul salaires/allocations.

Un intéressant rapport commandité par le Syndeac aux sociologues Matthieu Grégoire (4) et Olivier Pilmis (5) apporte la démonstration comptable que les préconisations du comité de suivi ne sont pas plus coûteuses que le système actuel. S’appuyant sur les données précises de la Caisse des Congés Spectacles, l’étude constate d’abord qu’en établissant un plafond de cumul salaires/indemnités de 3 129 euros (il s’agit là du plafond établi par la Sécurité sociale), on réalise une économie d’environ 100 millions d’euros. Second enseignement : le seuil d’éligibilité (actuellement 507 heures en 10 mois pour les artistes et 10, 5 mois pour les techniciens), souvent considéré comme un moyen de réguler le nombre d’intermittents, a surtout pour effet d’accentuer la précarité en excluant nombre d’entre eux du dispositif ponctuellement avant de pouvoir les réintégrer. Le nombre d’intermittents à connaître un épisode d’exclusion d’au moins un mois est 70 % plus élevé dans le système actuel que dans le système alternatif. Troisième enseignement : le modèle alternatif aurait peu d’impact sur le nombre d’allocataires indemnisés. Le rétablissement d’une période de référence de 12 mois aboutirait à une hausse de 4% des effectifs et non à un afflux massif de nouveaux allocataires.

Les propositions du comité de suivi « garantissent plus de stabilité aux salariés intermittents tout en privilégiant l’accès à l’indemnisation pour les plus précaires ». « Plutôt que durcir les conditions d’éligibilité du système en augmentant le nombre d’heures exigées sur la période de référence, ce qui sanctionnerait les plus fragiles, on rétablit ici plus de justice sociale et d’efficience du système d’indemnisation », conclut le Syndeac.

Mobilisation

Durcir l’accès au régime fait partie des 12 préconisations émises par le Sénat. Se fondant sur les témoignages de 95 personnes entendues lors de 27 auditions, le groupe de travail sénatorial recommande une augmentation du nombre d’heures travaillées ouvrant droit aux allocations de chômage : 580 heures en 12 mois pour les artistes et 650 heures en 12 mois pour les techniciens. Si elle a pris acte de la proposition du Sénat de revenir à la date-anniversaire sur 12 mois, la CIP-IDF juge la hausse du seuil d’éligibilité« destructrice »« Cela démontre une grande méconnaissance du dossier. Pour rappel, les intermittents travaillant par projets, il ne peut être question de moyenne mensuelle. Effectuer 507 heures en 10 mois-et-demi ne veut pas dire qu’on fait 48 heures par mois et ne peut pas se traduire en 580 heures en 12 mois ! Il est plus facile de faire 507 heures en 10 mois et demi que 580 heures en 12. » Pour la coordination, cette proposition favoriserait uniquement les  »permittents », ces salariés qui travaillent en permanence pour une société mais ne sont déclarés qu’une partie du temps.

Il ne s’agit pas seulement d’une bataille de chiffres, mais de la philosophie qui sous-tend ce régime spécifique. En juillet dernier dans nos colonnes, Samuel Churin, porte-parole de la CIP-IDF et du comité de suivi expliquait ainsi ce basculement idéologique :« Depuis la réforme de 2003, les intermittents acquièrent des droits non pas pour une période, mais pour un montant de 243 jours d’indemnités. La date-anniversaire, fixe, permettait à chacun de savoir où il en était. Aujourd’hui, la période, glissante, crée beaucoup d’insécurité. Nous sommes passés d’un système mutualiste à un système assurantiel. Aujourd’hui, à partir du moment où vous êtes éligibles, vous avez l’assurance de toucher un pactole de 243 jours d’indemnités, quel que soit votre salaire. Ce qui avantage ceux qui travaillent beaucoup et gagnent le plus d’argent ». C’est donc à la répartition qu’il faut s’attaquer.

La CIP-IDF et la CGT Spectacle appellent à une journée nationale de grève et de mobilisation le 27 février, jour du prochain round des négociations. Des  »Marches de la culture » ont déjà réuni dans plusieurs villes de France artistes et représentants du monde culturel qui craignent de faire les frais du plan d’économies annoncé par François Hollande, leur secteur n’étant pas considéré comme prioritaire. Pourtant, si l’on en croit un récent rapport des ministères de la Culture et de l’Economie, la culture contribue 7 fois plus au PIB que l’industrie automobile avec 57,8 milliards de valeur ajoutée par an quand son coût total pour la collectivité avoisine les 21, 5 milliards. En conclusion, Aurélie Filippetti et Pierre Moscovici soulignent « l’importance des interventions publiques pour conforter, dynamiser et renforcer la place et la compétitivité du secteur de la culture dans notre économie, au service du rayonnement national et de la vitalité de nos territoires. »

Nathalie Marcault

Photo de Une : occupation du Medef par des professionnels du spectacle. Copyright CGT Spectacle

(1) Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles

(2) Coordination des intermittents et précaires d’Ille-de-France

(3) Organisations du Comité de suivi : ADDOC (Association des cinéastes Documentaristes), Coordination des Intermittents et Précaires, Fédération des Arts de la rue, Fédération CGT Spectacle, Société des Réalisateurs de Films, Collectif des Matermittentes, Les Scriptes Associés (LSA) et les Monteurs Associés (LMA), Recours Radiation, SUD Culture Solidaires, SUD Spectacle, Syndicat du cirque de création, Syndicat des Musiques Actuelles, SYNAVI, SYNDEAC, TIPPI (Truquistes Infographistes de la Post-Production Image associés), UFISC, Union des Créateurs Lumière.
Parlementaires du Comité de suivi : Noël Mamère (député), Laurent Grandguillaume (député), André Chassaigne (député), Pierre Laurent (sénateur), André Gattolin (sénateur), Karima Delli (députée Européenne).

(4) Mathieu Grégoire est maître de conférences au CURAPP (Centre Universitaire de Recherches sur l’Action Publique et le Politique) à l’Université de Picardie à Amiens.

(5) Olivier Pilmis est chercheur au CSO (Centre de Sociologie des Organisations) du CNRS.

Liens :