« Avoir 20 ans dans les Aurès » reprend le maquis


Le film du cinéaste breton René Vautier vient de ressortir en version restaurée, dans toutes les bonnes salles de cinéma.

« En redécouvrant le film restauré, lors de la dernière Mostra de Venise, mon père a eu l’impression qu’on avait ajouté des scènes au montage. Mais, bien sûr, nous n’avons rien modifié ! Son étonnement est surtout venu du son. La restauration permet d’entendre des propos qui étaient devenus quasi inaudibles et qui n’existaient plus dans son souvenir », raconte Moïra Chappedelaine-Vautier. « La salle était pleine et l’accueil a été très chaleureux. Après la projection, des spectateurs italiens émus sont venus voir René pour lui raconter qu’ils avaient un cousin, un frère ou un grand-père rattachés à l’Algérie ».

Primé à Cannes en 1972, le premier long métrage du réalisateur breton, s’inspirant de centaines de témoignages de soldats français de la guerre d’Algérie, fait scandale et est censuré à la télévision. La carrière quasi-clandestine du film qui circule dans les ciné-clubs et les réseaux militants n’aide pas à la préservation des copies. Depuis 25 ans, plus aucun spectateur n’a pu voir Avoir 20 ans dans les Aurès dans de bonnes conditions de diffusion.

Moïra Chappedelaine-Vautier, la fille du cinéaste, et la Cinémathèque française avaient depuis longtemps le projet de restaurer le film le plus connu de René Vautier. Déjà, certains courts métrages comme Les trois cousins et Les Ajoncs, ainsi que le long métrage La folle de Toujane, étaient redevenus visibles après des années d’éclipse, grâce à des copies 35 mm neuves. De son côté, la Cinémathèque de Bretagne, qui possède plus de 100 films de Vautier, faisait vivre son œuvre et avait déjà tenté une première restauration du film brûlot sur la guerre d’Algérie.

C’est une demande de l’association Cinéphare qui a permis à Moïra de relancer l’initiative. Voulant diffuser le film à l’occasion du cinquantième anniversaire de l‘indépendance de l ‘Algérie, cette fédération de 33 cinémas bretons avait besoin d’un DCP. « Je ne pouvais pas fabriquer cette copie numérique à partir de ma version betanum, issue d’une copie 16 de mauvaise qualité. Il me fallait récupérer le négatif », précise Moïra. Une course contre la montre s’est alors engagée. La fille du réalisateur et la Cinémathèque française ont retrouvé les éléments au laboratoire LTC. Ils ont réussi à les récupérer une semaine seulement avant la fermeture de l’établissement qui a fait faillite. « Il a fallu passer des accords avec LTC Patrimoine pour accéder au négatif original en 16 mm et à un internégatif inversible en 35 mm. Il a été difficile de les récupérer, ce qui nous a fait perdre du temps », précise Hervé Pichard, en charge de cette restauration au sein de la Cinémathèque française.

Le magicien Pierre-William Glenn

Entretemps, Moïra n’a pas chômé. Elle a trouvé un distributeur, la coopérative Direction Humaine des Ressources, et proposé au directeur de la photo, Pierre-William Glenn, de s’occuper de l’étalonnage. L’équipe était prête. Ne manquaient que les financements. Moïra a saisi une occasion toute neuve en déposant le dossier auprès de la commission d’aide à la numérisation des œuvres du patrimoine, récemment créée par le CNC. « Nous avons déposé le dossier le 27 juin, il a été accepté le 2 juillet et nous avons commencé les travaux le 5 juillet !». La restauration a coûté 125 000 euros. Aux côtés du CNC et de la Cinémathèque française, d’autres bonnes fées ont apporté leur concours financier ou technique : la Région Bretagne et la Cinémathèque de Bretagne, l’association Mas o menos de René et Moïra Vautier, et le festival du film français de Richmond aux Etats-Unis.
La fille du cinéaste a passé son été à superviser la restauration de Avoir 20 ans dans les Aurès, menée par le laboratoire Digimage. Il a fait appel aux moyens numériques les plus perfectionnés pour retrouver les qualités originelles de ce film dont le son et l’image étaient dégradés. Le film avait été tourné en 16 mm et gonflé en 35 mm. « C’est le 35 mm qui a servi de référence pour le montage définitif car certaines scènes n’existent que sur ce support. Mais nous avons tenu à conserver la texture granuleuse du 16 mm », précise Hervé Pichard.

« C’était très important pour mon père », ajoute Moïra. « Il a un fort attachement au 16 mm. A l’époque, on lui disait que le film n’était pas diffusable parce que tourné avec des moyens amateurs ! ». La restauration en résolution 2 k est étonnamment belle : « Le magicien Pierre-William Glenn y est pour quelque chose ! Il disait : on va ajouter un point de rouge et deux de contraste ici, ôter un point de saturation là. Et, tout à coup, j‘avais une image parfaite sous les yeux. Avec cette restauration, nous sommes repartis pour 40 ans !».

Une dizaine de DCP, deux copies en 35 mm dont l’une sous-titrée en anglais, plus un nouvel internégatif de conservation : voilà Avoir 20 ans dans les Aurès prêt à reprendre le maquis des salles de cinéma, en France, à l’étranger, mais aussi, bien sûr, dans la région. La Cinémathèque de Bretagne a beaucoup travaillé pour la diffusion du film en Bretagne, et poursuivra son patient travail de conservation et de valorisation de l’oeuvre de René Vautier. « Nous avons déjà fait une tentative de restauration de Marée noire, colère rouge. Le prochain film à faire peau neuve sera Mourir pour des images », précise Gilbert Le Traon, son directeur. Moïra aimerait sortir un coffret contenant plusieurs films de son père. On ne peut que se réjouir de voir sauvegardée l’œuvre de ce cinéaste-citoyen qui a toujours combattu avec sa caméra pour seule « arme de témoignage ».

Nathalie Marcault

Photo : Copyright Félix Le Garrec. A noter qu’une exposition des photos de tournage de Félix Le Garrec accompagne le film dans les salles de Bretagne.