Agnès au pays des merveilles


Le tournage de Dimitri vit ses dernières heures dans les locaux de l’ancienne Trocante rennaise, clap de fin le 20 décembre prochain. Derrière des rideaux de fer obstinément baissés se poursuit une aventure au long cours qui promet à l’équipe engagée au service d’un tout petit oiseau migrateur de beaux lendemains, et au public bientôt conquis un enchantement en séries.

Parler de Dimitri, c’est parler d’Agnès Lecreux, des personnages aussi sémillants l’un que l’autre, et pour cause : ils ne sauraient être plus intimement liés. Agnès est la créatrice de Dimitri, sorte d’alter ego en volume animé, à condition de pousser loin le bouchon, et l’imagination.
Portrait de l’une pour arriver à l’autre…

Titulaire d’un DMA matériaux de synthèse obtenu à l’école parisienne d’Arts appliqués Olivier de Serres, Agnès Lecreux envoie son projet de fin d’études à Vivement lundi ! : pas encore un film d’animation, mais un livre pour les tout petits, illustré en volumes, contant les aventures d’un passereau – Dimitri – qui se compare aux animaux de la plaine africaine, beaucoup plus grands que lui. « Je m’étais servie de mon expérience. Quand j’étais petite, j’étais vraiment toute petite et j’en avais marre qu’on me traite comme un bébé. Je me suis dit que tous les enfants ressentaient ça un jour, vis-à-vis des adultes ou des enfants plus grands qu’eux. »
Dimitri emporte l’enthousiasme des producteurs rennais. Le temps nécessaire à la recherche des partenaires et des financements, Agnès l’emploie à faire ses armes sur d’autres projets – Pok & Mok, Oh Willy ! –, en tant que décoratrice. « Ce qui est bien, c’est qu’on n’a pas démarré au quart de tour. Il a dû se passer 3 ans entre notre rencontre et le développement. J’ai ainsi pu travailler avec toute l’équipe de décorateurs, ce qui par la suite a rendu la communication très naturelle entre nous. »
Le projet conquiert donc producteurs, partenaires et diffuseur. La série prévue se déclinera en 26 épisodes de 5 minutes pour la télévision dans l’émission-phare jeune public de France 5, Zouzous, et un préquel de 26 minutes distribué par Folimage et également diffusé sur France 5.
Il est temps, alors, de traverser le rideau de fer, et le miroir…

L’envergure du projet Dimitri sert évidemment le rayonnement de Vivement lundi ! et de Personne n’est parfait !, qui installe provisoirement ses studios boulevard Solferino, avant la destruction des bâtiments. Il sert aussi l’emploi et pas seulement local. Les dépassements affectés à la partie développement du projet – liés principalement à l’écriture et à la réception des marionnettes – ont été renversés en valeur ajoutée. Le producteur Mathieu Courtois a appelé en renfort la crème des animateurs français et européens pour faire vivre les huit plateaux alloués au tournage. Ils ont pour certains travaillé chez Aardman, société de production anglaise spécialisée dans l’animation en volume : « la référence pour nous », s’enthousiasme Fabien Drouet, chef opérateur et coréalisateur du 26 minutes. « Je n’ai jamais eu l’occasion de travailler sur un projet qui réunisse autant de compétences et un tel niveau d’exigence qualitative. Je suis impressionné par la qualité du travail à chaque étape de la réalisation », ajoute-t-il. Agnès, si elle a conscience de la chance qui lui est offerte sur huit plateaux, ne semble pas pour autant sous pression : « Évidemment, ça fait commencer par quelque chose de gros d’un coup. Mais je me suis lancée sans trop d’a priori ; j’ai un peu foncé tête baissée, ce qui n’était sans doute pas plus mal ! Je n’ai pas eu de véritables angoisses, juste quelques périodes de stress, forcément ».

Forcément. Le terme de « gymnastique » revient souvent dans notre conversation. La journée de tournage est partagée entre deux équipes de cinq animateurs chacune, qui tournent leurs plans sur cinq plateaux (à un rythme de croisière de 7 secondes/plan par jour), tandis que l’on s’occupe des retouches et de l’installation des plans suivants sur les trois autres plateaux.

C’est à Agnès qu’il revient de superviser le travail de chacun à la fois sur l’unitaire et sur les vingt-six épisodes de la série, des plans sans chronologie, les allers et retours pour validation des animatics auprès de Céline Chesnay, responsable des programmes pré-school à France Télévisions, et peut-être surtout les 30% du tournage qui reviennent à la coproduction belge, Beast Animation, et qu’Agnès suit image par image, réajustant des détails ou précisant ses intentions par mail ou par téléphone. « On aurait pu gagner du temps parfois si nous avions été en présence, même si dans l’ensemble ça se passe bien. Les animateurs belges sont vraiment très bons. Mais certaines remarques passent mieux accompagnées d’un sourire », confie Agnès. Le sourire du chat du Cheshire !

Tout cela n’aura pas raison de celui d’Agnès. Elle est bien entourée ; on sent une belle énergie circuler dans toute la Trocante. Elle se dit prête à reprendre les rênes pour une saison 2 de Dimitri si l’avenir en décide ainsi. Ensuite, elle pourrait bien se donner le temps de réaliser un film plus personnel, son premier court-métrage.

Pour l’instant, le tournage se poursuit sous les meilleurs augures. Une délégation de partenaires1 – France TV et CNC – se déplacera le 13 décembre pendant le festival du film d’animation de Bruz, pour une présentation de Dimitri à la presse. Sylvain Lorent, chef compositing en France, et l’équipe genevoise de Nadasdy Film s’attaqueront ensuite aux dernières touches d’un compositing discret, Agnès tenant absolument à conserver la fraîcheur et l’apparente simplicité de l’animation en volume : « on utilise le plus possible de matières propres à l’animation traditionnelle, mais on profite de la technologie numérique pour pouvoir nettoyer et compositer l’image, ramener des couches d’effets, » précise Fabien Drouet. C’est ainsi que des éclaboussures en papier fleuriste et les étoiles d’un ciel de nuit, filmées à part, seront intégrées en postproduction aux images tournées, et que l’on verra Dimitri voler, sans se douter qu’il est retenu par d’ingénieux systèmes appelés rigs, que les magiciens de Nadasdy Film et Sylvain Lorent auront gommés.
L’animatic constituant une sorte de pré-montage, il ne restera plus ensuite qu’à enregistrer les voix qui donneront vie aux personnages et qu’Agnès dit avoir eu en tête dès l’écriture : il faut encore trouver celle de Makeba, la girafe. Les animateurs disposent pour le moment de voix enregistrées sur un fichier son pour une habile synchronisation de l’animation. « C’est un peu comme du play-back ! » précise Fabien.
Ne restent plus que quelques étapes encore inédites à expérimenter pour Agnès avant les premières diffusions des deux formats au printemps 2014, et Dimitri passera du miroir aux écrans, petits et grands.

Gaell B. Lerays

1 en présence de Pierre Siracusa – directeur des programmes jeunesse de France 5, accompagné de Céline Chesnay – responsable des programmes pré-school, Joseph Jacquet – conseiller de programmes et Hélène Marteau – responsable communication et d’Alice Delalande – Fonds d’Aide à l’Innovation fiction-animation du CNC.
Dimitri créé par Agnès Lecreux et Jean-François Le Corre
Le spécial TV de 26′ est réalisé par Agnès Lecreux & Fabien Drouet, en co-réalisation avec Ben Tesseur et Steven de Beul
La série de 26 épisodes de 5′ est réalisée par Agnès Lecreux, en co-réalisation avec Ben Tesseur et Steven de Beul
Une coproduction Vivement Lundi !, Beast Productions, Nadasdy Film avec la participation de France Télévisions, VRT KetNet, RTS
avec le soutien de la Région Bretagne, du CNC, du VAF, de Screen Flanders, de la Loterie Romande, de la Procirep, de l’Angoa et du programme MEDIA
Photographies © Les productions Vivement Lundi !